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28 janvier 2014 2 28 /01 /janvier /2014 12:48

 

 

Swamp Club de Philippe Quesne et du Vivarium Studio, présenté au Carré des Jalles le 24 janvier

 

Rédaction de l'avant-papier : Eva Foudral et Richard Manoury

Avec la participation de : Gaëtan Ranson, Hélène Godet et William Petipas

 

 

D'où vient ce spectacle ?

 

Philippe Quesne est né en 1970. Il a suivi une formation aux Arts Décoratifs de Paris et fondé en 2003 le Vivarium Studio. Scénographe et metteur en scène, il est également directeur du Théâtre des Amandiers depuis janvier 2014. Sa formation plastique l'a conduit à concevoir des scénographies souvent riches et monumentales ; il réalise aussi des installations détachées de sa pratique théâtrale. Sa créativité plastique et scénographique, reconnue dans le monde du spectacle, lui a valu une nomination pour le Molière du meilleur scénographe 2010.


La forte teneur de son travail plastique se retrouve dans ses précédents spectacles (D'après Nature, 2006 ;  La Mélancolie des dragons, 2008 ; Big Bang, 2010). La lenteur et la présence de la nature (certes artificialisée) sont deux caractéristiques de ses créations scéniques qui amènent le spectateur dans une position contemplative. Comme il a pu l'expliquer lors du bord de scène effectué après la représentation du vendredi 24 janvier, dans la grande salle du Carré des Jalles, Quesne s'est inspiré de sa jeunesse, des heures qu'il a passées à regarder ses phasmes évoluant dans son vivarium. La manière dont il s'est projeté dans ces petites bêtes l'a inspiré pour la mise en œuvre de ses spectacles contemplatifs.


Le spectacle Swamp Club a été créé à l'occasion du Festival d'Avignon 2013. Philippe Quesne et son équipe ont abondamment fait réagir la critique : de nombreuses publications plutôt positives (voir quelques exemples dans la section « Sources et références »), relèvent notamment la qualité de la scénographie et son utopique poésie. Il a rapidement été programmé dans toute l'Europe et une date est même prévue à Tokyo.

 


Scénographie et dramaturgie du Swamp Club

 

Au début du spectacle, le spectateur découvre l'espace par son appréhension directe et par l'intermédiaire d'une projection vidéo sur une façade de la verrière, avec des commentaires oraux des acteurs sur les caractéristiques et activités que propose le site. Se trouvent également sur scène un jardin avec des plantes, un marais, quelques statuettes d'animaux, une grotte et une passerelle inclinée, qui offre aux comédiens la possibilité de pratiquer cet espace en relief et de surplomber le paysage ambiant. Tout ceci contribue à ouvrir l'imaginaire du spectateur à partir de ce qu'il voit sur le plateau et vers le hors-champ.


Le public découvre le quotidien des fondateurs du Swamp Club et suit l'arrivée de trois nouveaux artistes résidents. Peu après leur installation, une taupe géante sort, de manière tout à fait improbable, de la grotte, signe de l'approche d'un danger. La procédure de sécurité est mise en œuvre : les animaux (empaillés) ainsi que les plantes (artificielles) qui se trouvent à l'extérieur sont saisis et disposés par les membres du Swamp Club à l'intérieur de la verrière. La verrière se fait alors zoo et le spectateur entomologiste. Par cet élément dramatique, par son ambiance sonore et visuelle, le spectacle met en scène une situation d'urgence, mais malgré la précipitation qu’elle nécessiterait, le jeu des comédiens reste lent. Après le sauvetage de la faune et de la flore, les membres du Swamp Club trouvent refuge dans la grotte. L'extérieur est abandonné et n’y demeurent que six hérons aux yeux rouges clignotants, alors que la lumière du plateau s'éteint complètement, signifiant la fin du spectacle.

 

swamp6La verrière devient zoo © Martin Argyroglo 

 

 

Susciter un imaginaire par la lenteur, voilà ce qui est au cœur de ce spectacle. Un centre d’artistes qui semble des plus réels, une structure écartée de toute société, pensée par l'équipe artistique qu'a constituée Philippe Quesne : Isabelle Angotti, Snæbjörn Brynjarsson, Ola Maciejewska, Émilien Tessier et Gaëtan Vourc’h. La verrière d'architecture moderne situe le spectacle dans une époque contemporaine. Les technologies employées (les signalisations LED situées dans la verrière et à l'entrée de la grotte, les consoles de commandes pour la lumière et le son, les systèmes de communication par micros HF) peuvent, elles, nous projeter dans un futur plus ou moins proche. Mais les costumes des nouveaux arrivants nous ramènent dans le présent.  

 



swamp7

Le Swamp Club © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

 

 

Cette scénographie offre des espaces accueillants pour les nouveaux arrivants du Swamp Club. La verrière high-tech surplombant le marais semble ancrée dans cet espace naturel, de même que la grotte, qui regorge de richesses (culturelles : le cinéma, la médiathèque ; et matérielles : des énormes pépites d'or) et confère au lieu une ambiance propice à la création. L'ensemble joue sur le paradoxe entre un environnement moderne et technologique (la verrière, les panneaux où défile le texte, le « sauna »...) et un environnement qui se veut plus naturel par la présence des plantes, du marais, des animaux (empaillés), du bruit de l'eau qui coule.

 

 

Un univers fictif et mystérieux ?

 

Le spectacle laisse place au mystère, notamment grâce au jeu scène/hors-scène. Lorsque les comédiens sur la passerelle regardent avec des jumelles le paysage alentour, ils font exister le hors-scène. Le spectateur, qui voit uniquement l'entrée de la grotte, peut se projeter ou imaginer l’intérieur de ce lieu (long de cinq kilomètres, est-il  signifié dans le spectacle) grâce aux descriptions faites par les acteurs lors de la visite de celle-ci. Laisser place au hors- scène permet au spectateur d'imaginer les légendes gravitant autour de ce lieu et de se plonger dans un univers de science-fiction.


L'utilisation abondante de la fumée blanche, tout au long du spectacle, renforce son aspect mystérieux lié aux images qui renvoient aux lieux fantastiques de l'imaginaire collectif (les marécages ou les forêts magiques). Cette fumée est parfois tellement dense qu'elle réduit la visibilité du plateau. La vision du spectateur est également obstruée lorsque les comédiens viennent en avant-scène avec une imposante banderole. Ces différents éléments d'obstruction du regard rythment la vision du spectateur en lui proposant différents champs, différents cadres, en organisant l'image. Ainsi, ce n'est parfois que la verrière qui est éclairée de l'intérieur, et parfois l'espace scénique dans son ensemble.


Tout contrôler : le temps, la lumière et le son. Voilà l'utopie que le Swamp Club offre à tous les arrivants et aux artistes résidents. Chacun peut modifier la lumière (rouge, vert, blanc...) et donc le temps, choisir de créer, selon ses envies, une ambiance nocturne ou diurne. La lumière est contrôlable grâce à une console, de même que le son, à l'intérieur de la verrière. Des tubes fluorescents sont présents juste au-dessus du décor, visibles pour les spectateurs. Ce procédé a été utilisé par les éclairagistes des années 70 afin de donner la sensation d'une lumière naturelle. En plus d'une lumière sensiblement réaliste, l'éclairagiste a installé une lumière diégétique (dans la verrière, donc visible par le spectateur, et non dissimulée). Par une simple action sur la console, les comédiens allument les luminaires installés dans la verrière et ancrent ainsi encore plus le spectacle dans le présent de l'action scénique.

 


Un spectacle contemplatif : une dimension cinématographique  ?

 

Le quatuor à cordes, qui change en fonction du lieu de représentation, laisse place à l'aléatoire dans les choix musicaux. Les musiques classiques ou romantiques (Mozart, Schubert...) créent une ambiance onirique jusqu'au début de la procédure d'urgence. La musique est également diégétique : le quatuor fait partie du Swamp Club et joue dans la verrière. Un personnage au costume de Robin Hood propose une alternative sonore en commandant une musique électronique à partir de la console présente dans la verrière. Le contraste entre une musique acoustique et la musique électronique basée sur des fréquences basses plonge le spectateur dans une atmosphère totalement différente, semblant accélérer le rythme et devenir stressante. 

 

Le quatrième mur permet au spectateur de contempler ce qu'il se passe au Swamp Club. Il n'y a pas d’interaction entre les comédiens et le public, qui est placé face à un spectacle à contempler. Aux dires de Philippe Quesne et de plusieurs spectateurs, lors du bord de scène, la position contemplatrice a parfois été difficilement vécue par certains qui ressentaient le désir de monter sur scène pour pratiquer cet espace accueillant et riche. La lenteur du jeu des comédiens pousse en effet certains spectateurs dans cette envie de participer à l'action. 

 

Philippe Quesne a aussi pu expliquer que jamais, depuis la création du Vivarium Studio, les comédiens n'ont couru sur le plateau. C'est en effet une caractéristique de tous ses spectacles : un rythme basé sur la lenteur des corps. Cette lenteur peut être vue comme un élément favorisant la contemplation de la scénographie. De façon tout à fait linéaire, elle s'étend sur la totalité du spectacle, sans qu’aucune accélération ne vienne la heurter puisque les personnages vivent sans surprise leur quotidien. Le jeu des comédiens est en effet très épuré, comme naturaliste, en rupture totale avec un jeu théâtral classique, notamment grâce au dispositif des micros accrochés aux comédiens qui amplifient la voix sans que les comédiens ne cherchent à se faire entendre. Ce spectacle pose donc parfois question, et sera l'objet de questionnements lors du Krinomen, à propos notamment de la scénographie, du rythme, et de la vision du théâtre qu'il sous-tend.


L'équipe de Philippe Quesne a recours à de nombreux éléments cinématographiques et la distanciation qui règne dans le spectacle peut faire penser à des effets que l'on retrouve régulièrement dans de nombreux films. Étant donné la particularité des spectacles du Vivarium Studio, il sera questionné l'idée que Philippe Quesne s'inscrit dans un genre de spectacle qui émerge au vingtième-et-unième siècle.

 

 

 

Sources et références


 Quelques liens vers des articles et des critiques à propos du spectacle :


- Fabienne Pascaud, « Bienheureux les spectateurs de Swamp Club », in Télérama, publié le 16/07/2013, URL de référence :   http://www.telerama.fr/festivals-ete/2013/bienheureux-les-spectateurs-de-swamp-club,100339.php


- Brigitte Salino, « Dans le brouillard émerge une utopie », in Le Monde, publié le 19/07/2013, URL de référence :  http://www.telerama.fr/festivals-ete/2013/bienheureux-les-spectateurs-de-swamp-club,100339.php


- René Solis, « Le marécage aux folles », in Libération, publié le 19/07/2013, URL de référence :  http://www.telerama.fr/festivals-ete/2013/bienheureux-les-spectateurs-de-swamp-club,100339.php


- Site officiel du Vivarium Studio : http://www.vivariumstudio.net/index.html


- Liste des nominés pour la Nuit des Molières 2010, URL de référence : http://www.lesmolieres.com/Websites/lesmolieres/Images/2010/nominations%202010.pdf  

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