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25 novembre 2012 7 25 /11 /novembre /2012 18:55

 

Spectacle présenté au Carré /Colonnes, St Médard en Jalles, espace chapiteau du 08/11 au 10/11

 

 

Le CNAC :

Le CNAC est le Centre National des Arts du Cirque. La seconde phase du cursus du CNAC, dite d'insertion professionnelle, consiste en la création et présentation du spectacle de fin d’études et sa tournée qui valident le diplôme du Dma. Les douze acteurs qui sont sur scène pour This is the End sortent tout juste de l'école.



David Bobée :

Pour la 23e promotion, le Cnac en a confié la mise en scène à David Bobee. Ce jeune metteur en scène de trente-quatre ans a suivi des études de théâtre et de cinéma. En 1999 il crée sa compagnie : Rictus. Ses premières œuvres sont des performances où il fait appel à un théâtre d'engagement, aussi bien physique que politique. Il fait couramment appel au mélange du théâtre, de la danse, du cirque, de la vidéo et de la lumière dans ses spectacles. En 2008, David Bobee met en scène Warm, son premier spectacle de cirque contemporain, présenté à la Villette lors de l’édition 2009 de « Des auteurs, des cirques ». L'année suivante, il monte pour la première fois une oeuvre classique, Hamlet, dans une nouvelle traduction de Pascal Collin.Sa toute dernière création est Roméo et Juliette, qui sera notamment présenté au Carré des Jalles du 26/02 au 28/02. David Bobee aime s'essayer à différents arts pour mieux les lier entre eux, il aime aussi les défis, comme avec This is the end.

S'agissant du spectacle de fin de promotion, David Bobee avait plusieurs contraintes à respecter regroupées dans un cahier des charges. Le spectacle devait impérativement se jouer en chapiteau et les artistes devaient être mis en valeur dans leur discipline pour « se vendre » et être repérés par des compagnies professionnelles. Ces contraintes sont importantes. Il appartient alors à David Bobbée de s'en saisir au mieux pour parvenir à se détacher de ''la performance pour la performance''.

 

This is the end est un spectacle de cirque contemporain, qui se rattache aux codes du cirque traditionnel comme la piste et le chapiteau ou la présentation successive de numéros sur différents agrès. Le cirque contemporain est né dans les années 70, en rupture avec ce qui se faisait à l'époque, c'était un mouvement contestataire comme a pu l'être le théâtre de rue. Né du désir de faire considérer le cirque comme un art (et non plus comme un branche de l'agriculture...), de dépasser la 'seule performance c'est-à-dire de raconter une histoire, de faire passer des émotions et de faire sens. Ce dernier s'éloigne alors de ses fondamentaux que sont le chapiteau, monsieur Loyal et l'enchainement des numéros pour des spectacles destinés à être joués en salle, autour d'un ou deux agrès. Autour des années 2000, le cirque reprend un nouveau souffle qui l'amène à se rapprocher des ses codes originels, tout en continuant de raconter des histoires. This is the end s'inscrit dans cette filiation.

 

Comme l'indique le titre, c'est la fin, mais là fin de quoi? La fin du monde, d'un monde, d'un cycle. Douze jeunes circassiens s'expriment tour à tour, et chacun dans leur discipline, sur la fin du monde toute proche, comme s'il leur restait cinq minutes à vivre, question récurrente du spectacle.

 


Comment vont-ils mettre en oeuvre cette réflexion ?

 

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© Centre national des arts du cirque - Photos Philippe Cibille

 

Sur un plateau tournant à 360° et sur lequel est disposé un décor d’appartement sans cloisons, on voit des meubles en vrac, des canapés retournés, une télé qui ne fonctionne plus, des photos partout, des chaussures éparpillées ou encore un lit. Un désordre post-apocalyptique. Le premier artiste arrive. Dans un fond sonore de brouhaha, il monte sur le mât chinois au centre de la piste avec grâce et subtilité. Il enchaîne les figures pendant que la musique augmente. C’est lui qui lance l’action par sa chute. Les autres circassiens arrivent du public, le plateau tourne. Eux ne bougent pas, ils nous font face, les uns après les autres et cherchent le regard du spectateur. Le public est déjà hypnotisé par cette scène. Silence. Un artiste prend la parole au micro, nous demande explicitement s’il est possible de commencer par la fin. Tout à coup, surgissent les lumières stroboscopiques. Les jeunes artistes courent, remettent en ordre les éléments de l'appartement.

Dans la bible du spectacle, David Bobee s'exprime à propos de la scénographie qui reconstitue un appartement: « Un tel espace tournant, un espace de révolution peut aussi permettre de revenir en arrière et de commencer, par exemple, par une fin pour mieux rembobiner lentement vers un point d’origine ».

Pendant les 90 minutes suivantes, ils se croisent, se frôlent, se sourient. Chacun, avec son propre langage corporel, sa propre discipline, nous montre à quoi ressemble sa fin du monde. Du mât chinois au fil, en passant par la bascule coréenne, le monocycle, les tissus, les sangles, le jonglage et les portés acrobatiques, les artistes s'expriment par le biais de leur corps. Seuls ou accompagnés, ils font de leur discipline une parole rapportée, un message, pour laisser une trace de leur passage.


 

Comment l'intermédiabilité participe à la magie du spectacle?


Les artistes sont mis en valeur par les lumières, accompagnés par la musique et autres enregistrements sonores et vidéos.

Les lumières sont facteurs d'espace tout au long de ce spectacle. Au commencement, elles éclairent tour à tour un instant de vie de la jeunesse d'aujourd'hui comme un apéritif entre amis, une engueulade, une scène d'amour... Par la suite, ces dernières renforcent l'esthétique de chaque numéro et sont créatrices d'une ambiance, notamment lors des transitions.

Les musiques ont été composées spécialement pour cette création, ou remixées pour celles qui existaient déjà, la bande-son est donc propre à ce spectacle et participe à sa singularité et son homogénéité. Dans un des premiers tableaux où tous les artistes sont sur la piste, deux d'entre eux jouent sur le plateau : un saxophone et une trompette accompagnent la bande-son. Tout au long du spectacle, les musiques accompagnent les corps en mouvement.

 

La retranscription des voix des jeunes artistes est aussi un élément qui participe à l'originalité et à la créativité du spectacle. Cette diffusion rythme le spectacle. Ces enregistrements contiennent des témoignages, concernant leur passé, leurs envies, leurs projets, leurs doutes, leur questionnements, leur spontanéité face à la fin du monde toute proche. Ces voix sont tantôt pré-enregistrées, tantôt proclamées en direct par le biais d'un micro.

Enfin, derrière les gradins où sont assis les spectateurs, des écrans sont installés, un sur chacun des 3 pans du chapiteau. Le même visage de chaque interprète apparait en 4 exemplaires et défile successivement sur les 3 écrans, puis un autre visage s'inscrit dans la même lignée et ainsi de suite. Les écrans donnent aussi à voir le chronomètre où s’affichent les cinq dernières minutes, le nom des artistes et la place de leur numéro, les traductions lorsque les artistes parlent dans une langue étrangère ou en langage des signes.

 

 

Comment est traitée la fin du monde dans ce spectacle?

 

scenographie.jpg

 

© Centre national des arts du cirque - Photos Philippe Cibille

 

Le spectacle commence par la fin, c'est à dire par un effet de panique qui démarre par une explosion. S'en suivent deux gyrophares qui participent à la sensation de chaos, appuyée par le son des alarmes. Le chronomètre provoque le suspens et l'attente chez le spectateur. L'allusion à la fin du monde est présente tout au long du spectacle. Les meubles sont élevés dans l'espace à l'aide de sangles, ils représentent le temps en suspend dans cette atmosphère de chaos. Les témoignages rappellent la confession dans la religion chrétienne, message renforcé par l'image christique du numéro des sangles. Arrivé dans une baignoire, l'acrobate s'élève en étant suspendu aux sangles. Torse-nu, les cheveux longs, mouillés, il termine son numéro en croix. Affaibli, il redescend dans la baignoire. La jeune Palestinienne vient à sa rencontre en lui apportant son réconfort, rappelant le tableau de la Pietà de Michel-Ange. Cette image marque profondément, symbolisant le rapprochement de deux religions, souvent en désaccord. Cette scène est d'autant plus émouvante que dans le numéro précédent, la jeune femme et ses tissus racontent son pays en guerre, l'éloignement de sa famille, sa souffrance malgré la liberté trouvée en France.

 

Le numéro de jonglage s'inscrit aussi dans cette lignée. Le rapport danse-musique est très fort dans ce numéro, dû à son flux saccadé. Son témoignage montre qu'il ne fait qu'un avec sa passion. Entrecoupée, la question qui lui revient sans cesse est « est ce qu'on fait du jonglage parce qu'on est fou ou est qu'on est fou parce qu'on fait du jonglage? ». Le rythme saccadé de la musique et de la phrase ne fait qu'un avec ses mouvements qui se rapprochent du hip-hop. Le numéro n'est pas une simple démonstration de l'art du jonglage, mais un message personnel, une introspection symbolisée par les balles restant très près du corps.

 

Ces numéros troublants et touchants contrastent avec d'autres plus dynamiques. Cette différence de réactions face à la fin du monde évoque deux aspects de la nature humaine. Certains se recentrent sur eux-mêmes tandis que d'autres désirent profiter des derniers instants ensemble. Le numéro de la bascule coréenne, le monocycle, les portés acrobatiques, et le fil illustrent cette dernière idée.

Trois artistes sur la piste pour la bascule coréenne. Chaque artiste est nécessaire, tantôt pour sauter, tantôt pour assurer une parade. Se relayant ainsi, se stimulant les uns envers les autres, ils attestent d'une solidarité indubitable dans leur numéro et au sein des arts du cirque. Ces jeunes artistes se transcendent sur la piste face à l'arrivée imminente du la fin du monde.

Le monocylcliste cherche la fuite et persiste jusqu'au bout, malgré les obstacles qui se dressent devant lui. Il entreprend de faire le tour de la piste mais cette dernière tourne dans le sens inverse par rapport à lui. Ce qui montre une persévérance et une lutte pour ne pas se laisser abattre. Ensuite, les autres artistes font leur apparitions les uns après les autres, en se jetant sur la piste. Leur neutralité indique qu'ils ne sont pas contre lui mais représentent des obstacles sur son parcours. Il ne se décourage pas, s'en détourne à chaque fois jusqu'à trouver sa voie.

 

L'entrée du porteur, sourd, se fait dans le silence. Sa passion pour la scène transcende la fin du monde, fictive, et son handicap, bien réel. Il se met à danser – parfaitement sur le rythme de la musique, bien qu'il ne l'entende pas, il semble la ressentir. Son enthousiasme nous gagne. Le voltigeur le rejoint, intense moment de bonheur. Pendant quelques secondes, comme eux, on se fiche de la fin du monde qui arrive.

 

Le funambule clôt la succession des numéros. Le compte-à-rebours se déclenche sur les écrans. Comme à la première apparition du chronomètre, une tension traverse les spectateurs. On accompagne l'artiste dans son numéro, la tension se transforme en appréhension lors des figures les plus spectaculaires. Là encore, les risques semblent justifiées par la fin du monde qui arrive, on n'a plus rien à perdre. Dynamique, il joue avec le public, par le regard, faisant lui-même monter la tension.

 

Comment se termine ce monde?

 

Après le numéro de funambule, le monocycle entre à nouveau sur scène. Les artistes arrivent les uns après les autres et se figent sur la piste. Le monocyle leur tourne autour, sans comprendre qu'il soit le seul encore ''en vie''. Après quelques minutes, il prend conscience que lui seul peut les réveiller par le contact humain : à peine les a-t-il touchés qu'ils reprennent vie, sourient et se remettent à marcher, récréant ensemble ce fourmillement qu'est la vie. Comme au commencement, les meubles reprennent place sur scène, dans le même désordre. Chaque artiste trouve sa place au bord du plateau qui se remet à tourner, et, face à nous, ils se déshabillent et terminent en sous-vêtements. Après s'être dévoilés tout au long du spectacle, ils dévoilent leur corps. Ils ne sont plus entre eux, mais entièrement à nous. Ils apparaissent encore plus accessibles qu'ils sont humbles, sincères, un peu gênés de cette mise à nu, en un mot, humains. Ils ne peuvent plus se cacher derrière leur art.

Si on peut douter de la fin du monde, c'est bel et bien la fin de leurs études au sein du CNAC. Ainsi à un moment charnière de leur vie personnelle et professionnelle, leur jeunesse est exacerbée.

 

This is the end est incroyable, il apporte de la beauté, de l’espoir. Il parle de la vie, de ces gens aux histoires différentes qui poursuivent leurs rêves. La mise en scène émeut, leurs numéros épatent.


Liens Internet :


La ''bande-annonce'' du spectacle :


 

 

 Le site du Cnac: http://www.cnac.fr/page_accueil.php?rec=1

Le dossier de presse:

http://www.ac-versailles.fr/public/upload/docs/application/pdf/2011-11/atelier_vilette_23e_promo_cirque.pdf

 

Pour aller plus loin… :

Comment David Bobbée parvient-il à résoudre la succession des numéros pour mettre en scène un spectacle répondant à une dramaturgie tenue ?
Parvient-il à réactualiser la question rebattue de la fin (du monde, d'une ère, du spectacle...) pour la rendre inédite ?

 


 

Article réalisé par Céline Mouchard, Jorane Berger et Juliette Villenave

 


 

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