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2 novembre 2014 7 02 /11 /novembre /2014 09:54

 

 

La séance de Krinomen a eu lieu le Jeudi 23 Octobre.

Equipe de recherches de terrain : Lorea Chevalier et Anna Chabat

Equipe d’animation : Jeanne Laffargue, Théo Laisement, Romann Sloänn-Dartron et Adrien Poisblaud.

 

Equipe du compte rendu : Pauline Vic et Anaïs Renac.

 

 

Transmission du solo Utt de Carlotta IKEDA à Maï ISHIWATA,

 

Spectacle présenté au Glob Théâtre à Bordeaux, le Mercredi 5 Octobre 2014.

 

 

 

 

Compte rendu de la séance :

 

 

« Utt est un voyage, l’itinéraire d’une femme de la vie à la mort, ou peut être de la mort à la naissance.

Utt est un cri, une onomatopée, comme si on recevait un coup brutal dans le ventre. »

Carlotta Ikeda.

 

Utt est un spectacle chorégraphié par Ko Murobushi et initialement interprété par Carlotta Ikeda, avant qu’elle ne transmette le solo à Maï Ishiwata. Le butô est une danse d’après guerre née au Japon dans les années 1950 en réaction au poids de la culture japonaise et « l’invasion » des Américains. Cette danse, qui a voyagé d’orient en occident, ne cesse d’intriguer. Il était donc question pour nous tous (organisateurs de la séance) de poser des éléments de définition du butô, dans un premier temps, pour ensuite nous intéresser à la description du spectacle, à sa forme, en passant par les costumes, les lumières et les sons puis de nous interroger sur les différentes interprétations qui ont pu émerger à sa suite.

 

Le Krinomen a débuté par une entrée théâtralisée reprenant certains éléments clefs ou frappants du spectacle. Ainsi, les participants au Krinomen ont été invités à suivre, jusqu’à leur place dans les gradins, trois des organisateurs du débat. Ces « guides » reprenaient la posture et la démarche de la danseuse Maï Ishiwata lors du début du spectacle : leurs visages était cachés, recouverts par leurs cheveux, seules leurs mains, maquillées avec du fard blanc dépassaient, faisant signe aux spectateurs d’avancer, le tout dans une lumière tamisée. Au même moment, le reste de l’équipe (les animateurs), au plateau, marchait en rond, lentement et tête baissée. Une fois les spectateurs arrivés et installés, le débat a pu commencer.

 

 

L’entrée en matière s’est faite par le biais de la question :

« Qu’est ce que le butô ? »

 

Avant d’entendre les réponses des participants, l’équipe s’occupant des recherches de terrain a diffusé une vidéo, montage d’un micro trottoir réalisé le Mercredi 5 Octobre au Glob Théâtre, effectué avant le spectacle et traitant de la même question. Alors que certains spectateurs y parlent d’une « danse plutôt sombre », d’autres l’associent à « Hiroshima, la mort ou encore les ténèbres ». Lors du débat, les réponses ont été nombreuses, et comprenaient régulièrement des références  à la seconde guerre mondiale, à Hiroshima et aux énergies intérieures :

 

« C’est une danse contemporaine japonaise, qui s’est créée en réaction à Hiroshima, c’est en rapport au ressenti de cette période. »

 

« C’est une danse codifiée (corps blancs, draps/costumes blancs), et aussi en réaction à la culture japonaise et au poids qu’elle exerce sur ses individus. »

 

« C’est une danse de l’expression, très personnelle »

 

Il était aussi question de « ténèbres », et d’expression corporelle ;  le butô a ainsi été qualifié de « danse contemporaine japonaise », et d’une « […] danse basée sur l’énergie intérieure que dégage le corps, une danse qui tend à extérioriser cette énergie, à la contrôler ».

 

 Certains ont particulièrement insisté sur l’aspect « personnel »  de cette danse, une danse qui exprime des émotions « parfois de manière provocante ».  La possibilité de l’existence de plusieurs butôs a aussi été soulevée.

 

A la suite de cet échange, nous avons diffusé une vidéo faite lors du bord de scène, le Mercredi 5 Octobre 2014 au Glob Théâtre, dans laquelle des membres de la Compagnie Ariadone : Adrien Joubert l’administrateur de la compagnie, Laurent Rieuf le régisseur et Maï Ishiwata la danseuse, donnent leur définition du butô :

 

« Il est vrai que l’on associe souvent cette danse aux ténèbres et à Hiroshima. Mais c’est bien plus complexe que cela. Il y a énormément de références à prendre en compte. C’est une danse née dans les années 1950, au Japon, en réaction au traumatisme causé par Hiroshima, au poids de la culture japonaise et à l’invasion américaine. C’est une forme d’expression très proche de la terre et très profonde. Elle vient des tripes, du « hara » de l’âme. On parle de danse des ténèbres car elle consiste à aller au néant, pour renaître »[1].

 

Cette définition faisant office de conclusion à la question, nous sommes ensuite passés plus concrètement au spectacle. Nous avons commencé par demander aux personnes présentes et ayant vu le spectacle de décrire la scénographie. Pour donner une idée plus précise de celle-ci à ceux n’ayant pas vu le spectacle nous avons en même temps projeté des photos de chaque tableau.

 

 

Description du spectacle

 

Il est possible de divisr le spectacle en 5 tableaux :

 

1er : Début du spectacle jusqu’à la projection d’images sur les panneaux.

2eme : projection sur panneaux

3eme : les panneaux s’ouvrent et découvre le temple

4eme : La danseuse sort du temple.

5eme : le salut

 

Pour des compléments sur le déroulé du spectacle en photographie, voir :

 

Le site d’Eric Blosse : http://ericblosse.com/2013/12/14/utt/

 

L’article publié sur le blog du krinomen : http://krinomen.over-blog.com/2014/10/utt-compagnie-ariadone-carlotta-ikeda-partie-1-4.html (partie 1) et http://krinomen.over-blog.com/2014/10/utt-compagnie-ariadone-carlotta-ikeda-partie-2.html (partie 2).

 

 

Le 1er tableau :

 

             Le plateau est nu. Tout est blanc : le sol et les panneaux, en fond de scène, fermés. Le sol forme un rectangle, blanc, qui tranche avec le noir qui l’entoure. La lumière, éblouissante ne change pas tout au long du tableau. Le seul élément habitant le plateau est la danseuse, Maï Ishiwata. Elle est vêtue d’un costume blanc et vaporeux, sous lequel sous lequel on devine difficilement son corps recouvert de fard blanc. Elle porte également un gant blanc à la main droite. Tête baissée, ses cheveux longs et noirs recouvrent son visage, qu’elle ne découvrira que plus tard dans ce premier tableau.

La danse se compose de mouvements saccadés. La danseuse commence la chorégraphie recroquevillée sur elle même puis va redresser son corps petit à petit, au fur et à mesure des boucles effectuées dans l’espace scénique. L’expression, ou plutôt les chorégraphies de son visage trouvent aussi leur importance dans ce tableau ; des images fortes de visage déformé et blanc : les yeux qui se révulsent et la bouche devient comme un immense trou béant rouge vif.

La première partie du  tableau se fait dans le silence.  Seuls les bruits de ses pas au sol et de sa respiration accompagnent ses gestes et déplacements dans l’espace. Au moment où la lumière change la musique s’installe.

 

 

Le 2ème tableau :

 

L’espace scénique est désormais vide, la danseuse n’est plus sur scène. Sur les grands panneaux en fond, apparaissent des projections. Derrière ces panneaux  de la fumée se diffuse et semble remplir un tout nouvel espace, encore inconnu aux yeux des spectateurs. Ils ne l’aperçoivent qu’en légère transparence. L’ombre de la danseuse se dessine doucement et progressivement. D’abord  son costume, qui semble être composé d’une coiffe et de grandes manches de kimono. Durant le Krinomen, la coiffe, notamment sa forme, a rappelé à certains le casque des samouraïs.

La musique est toujours présente dans ce tableau. Quant aux lumières, vives et électriques, de teintes tour à tour rose, violette et bleue, elles sont diffusées derrière les panneaux.  Puis les panneaux coulissent lentement, laissant apparaître le nouvel espace.

 

 

Le 3ème tableau :

 

L’espace découvert, suite à l’ouverture des panneaux, se révèle être une structure, à l’aspect assez fragile, faite d’une estrade blanche et de quatre « colonnes ». L’apparence de la structure fait penser à une tente, un lit à baldaquin ou un temple. La danseuse se tient assise au centre de cette installation. La fumée quant à elle continue de se distiller dans l’espace, mais de façon plus ponctuelle, accentuant l’idée du temple et donc du rituel. L’ambiance prend une dimension plus spirituelle, onirique.

Les lumières n’ont pas changé et sont les mêmes qu’au tableau précédent.

Maï Ishiwata est vêtue d’une grande coiffe habillée de miroir ce qui lui permet de réfléchir la lumière lorsqu’elle bouge la tête. Sa robe, rigide et imposante (papier mâché) recouvre le haut de son corps. Le bas, lui, est entouré d’un amas de cordes pendantes et tombant jusqu’à ses pieds. Ce costume rappelle à la fois les costumes traditionnels japonais comme le kimono, mais fait aussi appel à un imaginaire s’orientant vers l’Afrique.

Les mouvements qui accompagnent ce tableau peuvent être assimilés à un rituel ou à une cérémonie tribale. Ils sont saccadés et violents ; Ils se composent de distorsions à répétition du corps, de spasmes. Ces images, ont été perçues par quelques spectateurs comme à la fois, mystiques et sexuelles. Il était possible d’y voir, peut être un acte sexuel, ou encore, un accouchement menant à la naissance d’une petite fille ou encore une naissance, car progressivement la danseuse se débarrasse de son costume au profit d’une robe courte en dentelle transparente.

L’impression de violence et de mysticisme du tableau est renforcée par la musique qui l’accompagne. Dans celle-ci on reconnaît, par exemple, parmi le rythme battu, des tambours. L’impression de rituel est renforcée, ainsi que l’idée de retour aux sources, et à la terre.

 

Le rituel ayant sa part dans ce tableau, cela nous a amené à demander lors du Krinomen si les participants avaient eux aussi reçus cet aspect là du spectacle. Les réponses ne tendaient pas tellement vers cela, beaucoup ont plutôt souligné l’aspect ambigu du costume : à la fois rigide et fragile.

 

 

Le 4ème tableau :

 

Pour la première fois Maï Ishiwata, la danseuse est « dévoilée ». Le spectateur ne fait plus que deviner des formes, distinguer des silhouettes, désormais il distingue parfaitement chaque membre du corps de la danseuse, visage inclus.

Elle est habillée de la même robe en dentelle, très enfantine, et nous laisse voir son visage, ses cheveux attachés en arrière, relevés, ne la masquent plus. Un spectateur nous dira même « c’est à partir de ce tableau qu’elle est vraiment humaine ». D’une certaine façon c’est assez juste, dès ce moment elle n’a plus rien de la silhouette fantomatique des tableaux précédents.

L’ambiance générale change radicalement que ce soit dans la tenue, la chorégraphie, ou  dans la musique. Les mouvements violents sont remplacés par d’autres empreints de beaucoup plus de légèreté. Le corps est relativement moins crispé. L’expression du visage, elle aussi, se modifie. La danseuse semble sourire, l’image qu’elle renvoie est celle d’une petite fille. La violence des tableaux précédents est effacée. Après une trentaine de minutes de spectacle la tension semble se relâcher un peu. La danse n’en est pas moins intense, mais l’impression qu’elle fait sur le spectateur est généralement différente.

La musique diffusée lors de ce moment est celle d’Osamu Goto : Requiem. Elle est plus douce et apaisante que celle qui la précédait, appuyant l’idée de jeunesse et d’innocence. Elle est en contraste avec le rythme brutal et primitif du tableau précédent. La référence aux traditions et au rituel n’est plus tout à fait la même, même si le titre du morceau est : Requiem.

 

Durant le Krinomen, certains spectateurs nous ont confié y avoir vu une fillette perturbée, malade. Cela tient peut être au fait, que si le corps de la danseuse se mouvait de façon moins saccadée, la violence était toujours présente, mais distillée différemment, elle se trouvait plus dans les tensions des membres.

 

Le 5ème tableau :

 

Nous avons déterminé que le début de ce tableau se trouvait au moment ou la danseuse ôte sa robe pour laisser place à l’ultime costume, sorte de deuxième peau. Le  corps est  nu (la danseuse porte seulement un cache sexe), maquillé de blanc. La lumière a changé, ce n’est plus la même. Elle consiste désormais en une douche qui  éclaire la danseuse. La chorégraphie est aussi plus dynamique : les gestes sont grands et particulièrement ouverts aux spectateurs.

 

Puis à l’intérieur du tableau, la lumière change : des projecteurs latéraux remplacent la douche et éclairent uniquement les endroits où le sel s’écoule. Maï Ishiwata, elle, déambule autour de ces douches de sel, allant jusqu’à se mettre dessous, tête baissée, laissant le sel ruisseler sur son corps.

Lors du Krinomen il a été soulevé que pour certains, l’ambiance se fait plus relaxante grâce au bruit du sel qui rappelle la mer. Mais que pour d’autres en revanche c’est  une image qui rappelle la douleur. Le mot « enterrement » a notamment été prononcé.

 

Vient le moment du salut. Un salut particulièrement  chorégraphié et singulier. Après les tensions, le rythme soutenu et la violence des tableaux précédents, le salut amène un instant relaxant, paisible. Il s’inscrit dans la continuité des douches de sel précédentes. Le bruit du sel reste et est captivant, la musique apaisante. Le temps semble se figer. Les lumières sont accompagnées de projections animées au sol représentant des cercles se mêlant les uns aux autres.

Maï Ishawata répète inlassablement le même parcours. Elle arrive lentement du côté cour, en fond de scène, elle s’avance doucement vers la douche de sel à l’avant scène, se penche et laisse le sel tomber sur sa tête et sa nuque, puis elle redresse la tête, le visage inondé de sel. Le noir se fait sur le plateau. Le même scénario se répète, cela jusqu’aux applaudissements de la salle. Durant l’échange du Krinomen, des participants ont confié avoir été dérangé par les applaudissements. Ils auraient souhaité que le salut se reproduise à l’infini sans être perturbé, comme si les applaudissements avaient brisé quelque chose. Qu’ils se poursuivent jusqu’à la sortie de tous les spectateurs

 

 

Durant Utt le corps de la danseuse évolue et passe par différents stades. Au début renfermé sur lui-même et ne s’offrant que peu au regard des spectateurs, il finit par se redresser et s’ouvre à la salle et au monde qui l’entoure. Les expressions du visage, elles aussi subissent une évolution, et vont se détendre. Ces transformations corporelles peuvent nous laisser supposer que Maï Ishiwata incarne plusieurs personnages : une petite fille, une jeune fille, une femme et une vielle femme semblent en effet se côtoyer. La lumière et la musique, qui évoluent avec la danse paraissent soutenir l’idée de fragments de vie.

Tous ces éléments, apparaissant au fil des différents tableaux nous amènent à penser que la chorégraphie suit un cycle.

 

 

Cycle ou fragments de vie ?

 

« La vie est là pour qu’on puisse atteindre un état de pureté et véracité, que l’on trouve le néant. »

Carlotta Ikeda

 

A la suite à de cette description, nous nous sommes attardés sur les questions de l’interprétation et de la narration. Nous nous sommes demandés si le sens ou du moins la forme de figuration, qui été ressortie lors de la description des tableaux, émanait de la scénographie, ou de la chorégraphie et du « jeu » de la danseuse.

A ce questionnement nous avons trouvé quelques éléments de réponse. Certains tableaux sont, en effet, relativement figuratifs, alors que d’autres au contraire ne le sont pas, ou très peu. Il est possible de considérer que l’illustration passe par la lumière, qui change, évolue, et accompagne dans ces mutations la musique. Ces deux éléments participent grandement à l’élaboration d’une ambiance. Ambiance qui elle-même accompagne la chorégraphie. Dans Utt celle-ci ne concerne pas uniquement le corps, mais aussi le visage. Tout au long du spectacle, le visage de la danseuse est mis à contribution. Quand il est caché cela est volontaire et donne un certain aspect inhumain à la danseuse. Quand il est révélé il est extrêmement expressif et mobile. Que ce soit des grimaces générales, ou uniquement les yeux ou la bouche, comme lorsqu’elle tire la langue.

Ce questionnement sur la figuration et la narration a fait apparaitre que l’histoire que chacun trouvait, ou ne trouvait pas, dans le spectacle dépendait de façon très intrinsèque à l’état du moment du spectateur, mais aussi à son imaginaire personnel et collectif. Certains ont ainsi pu apprécier le spectacle en ne cherchant pas à trouver de sens à tout prix, et sans trouver ou chercher de fil rouge, sans que cela les pénalise dans leur appréhension ou leur compréhension du spectacle.

Malgré tout, ce qui est apparu à plusieurs reprises lors du débat est la recherche de sens venant après le spectacle. Une majorité des participants au Krinomen se sont retrouvés dans le besoin de rechercher du sens une fois le spectacle vu. Ce sont ces remarques qui nous ont conduits à nous interroger sur le besoin de sens au spectacle, en règle générale.

Il faut malgré tout noter que si le spectateur n’est pas obligé de trouver du sens, ou plus généralement d’en chercher, pour Carlotta Ikeda ce sens existe ; C’est celui d’une femme à quatre périodes différentes de sa vie : bébé, enfant, femme, et vielle dame.

 

« UTT est un voyage, l’itinéraire d’une femme de la vie à la mort, ou peut être de la mort à la naissance »

 Carlotta Ikeda

 

La question de l’interprétation est quant à elle un peu plus délicate. Des participants ont fait remarquer que le butô pouvait, en règle générale, s’apparenter ou se rapprocher à certaine forme de transe. En tout cas c’est une danse qui semble devoir faire appel à un état particulier du corps et de l’esprit.

 

« Tous les personnages sont présents à l’intérieur  mais bien sûr il y en a un qui sort plus fort, ils se battent tous à l’intérieur pour essayer de sortir »

Maï Ishiwata

 

Alors que certains n’y ont vu aucun sens, les autres n’ont pas forcément vu les mêmes choses : « N’importe quand, n’importe qui, n’importe où, je ne vois pas d’évolution. Les tableaux auraient pu être dans n’importe quel sens que ça ne m’aurait pas dérangé » déclare une participante. Une autre rajoute que selon elle un tableau pourrait se jouer seul et n’est pas dépendant du reste du spectacle. La plupart d’entre eux ont vu des cycles : de la vieillesse à la jeunesse, ou de la vie à la mort, en associant notamment le sel à des cendres. Mais beaucoup n’ont pas attaché d’importance à l’ordre de représentation de chaque tableau. Du moins sur le moment. Voici un exemple de quelques paroles entendues lors du débat, rapportées :

 

 « J’ai juste vu un corps qui évoluait. Un corps androgyne, sans être forcément une femme. A part certains tableaux vraiment lisibles, je pense que l’ordre aurait pu être différent. »

 

 « Certains des tableaux sont beaucoup moins signifiants que d’autres pour moi. Je n’ai pas vu de fil rouge.  Au niveau des signifiants c’est un peu inégal. »

 

« Je trouve que ce serait contradictoire s’il y avait un fil rouge. Le spectacle raconte plus une expression  qu’une histoire, rapport à l’expressionisme allemand. Je trouve que ce n’est pas une histoire vraiment au sens d’une narration. »

 

 

Parmi les spectateurs étant parvenus à reconstituer une trame, que ce soit pendant ou après le spectacle, beaucoup malgré tout y ont vu l’illustration d’une femme lors de différents moments de sa vie. Un parcours, un « cheminement ». Parfois, la notion de cycle : celui de la vie et de la mort, leur est aussi apparue, mais moins systématiquement. Ce sont des thèmes relativement universels, du moins compréhensibles par le plus grand nombre. Il nous faut cependant insister sur le fait que, comme le montre les citations ci-dessus, tout le monde lors du débat n’était pas de cet avis. De même tous n’ont pas remarqué de narration particulière et parmi les participants, quelques-uns ont soulevé la possibilité que les différents tableaux ou moments de spectacle auraient pu être indépendants. Alors que pour d’autres la notion de cycle ou en tout cas une certaine forme de chronologie était présente et ce sont  les liens entre les tableaux qui rendaient l’œuvre unifiée et participait la  à sa compréhension.

 

Le butô comme nous l’avons vu précédemment dans ce compte rendu est une danse japonaise. Une danse qui si elle n’est pas forcément rituelle prend bel et bien racine dans la société japonaise et son histoire. Utt est un spectacle qui comporte des éléments symboliques forts. Un en particulier à retenu notre attention, il s’agit du sel qui s’écoule sur la danseuse lors du dernier tableau et du salut. Des photos de la douche de sel sont d’ailleurs mises en avant dans les différents éléments de communication autour du spectacle. C’est donc logiquement que le sel s’est installé comme l’un des thèmes à devoir aborder lors du Krinomen. C’est notamment le groupe de Recherches de Terrain qui s’est emparé de ce sujet, pour nous en faire un exposé lors du débat.

Pour des développements sur le sel, voir le compte-rendu de la recherche de terrain : http://krinomen.over-blog.com/2014/11/compte-rendu-des-recherches-sur-le-terrain-utt-cie-ariadone.html.

 

 La purification :

Un gain ? Une nécessité ? Si oui, pour qui ?

 

Le butô faisant appel à des images et à des codes japonais (dont le sel, dans une certaine mesure), nous nous sommes demandés comment ces spectacles pouvaient être reçus en occident, et comment ce média interagissait avec notre société occidentale. Il est intéressant de préciser que le butô n’est pas populaire et forcément apprécié au Japon, alors qu’il intrigue et attire les occidentaux.

            Cette question a été particulièrement difficile à aborder pour les spectateurs lors du Krinomen. Finalement, il est apparu que la purification était à la fois un gain et une nécessité. Elle s’effectue par et pour le ou les « personnage(s) » qu’interprète Maï Ishiwata, mais il est aussi possible de considérer qu’elle fait effet aussi sur le spectateur voire même sur  le lieu où se déroule le spectacle. Nous  n’avons pas été en mesure trouver une réponse définitive qui mette tout le monde d’accord.

 

 

L’universalité :

 

 « Tout humain connaît la transformation du corps. »

Carlotta Ikeda

 

 

Il est ressorti du Krinomen que le butô semble être une danse qui s’adresse principalement au corps et non à l’esprit, de ce fait, les émotions étant véhiculées par un médium commun, le butô offrait une certaine accessibilité. C’est une danse qui demanderait à se laisser simplement emporter par ses émotions, son sentiment sur l’instant. Ou son absence de sentiment. La présence de « codes » japonais n’a pas été perçue comme une entrave à la compréhension ou à la vision du spectacle. L’hermétisme qui a pu exister n’a généralement rien eu à voir avec des différences culturelles.

            Bien sûr lors de nos recherches et lors du Krinomen, la question des différences culturelles ne pouvait pas être mise de coté. Même si la compréhension n’en était pas altérée, ces différences existaient néanmoins, et se devaient d’être abordées. D’ailleurs, lors du bord de scène, il en a été question. La différence entre les corps japonais et occidentaux a été évoquée, ainsi que le fait que le butô se soit construit en partie en contradiction avec les normes occidentales.

 

 

La transmission :

 

Utt est un spectacle qui a d’abord été dansé par Carlotta Ikeda.  C’est notamment à la suite d’encouragements des institutions culturelles telles que l’INA ou l’IDDAC que Carlotta Ikeda a décidé de transmettre son solo. Cette transmission ayant eu lieu récemment, c’est une thématique que nous souhaitions commencer à aborder. Pour terminer le Krinomen nous nous sommes demandés si cette transmission était nécessaire, en particulier dans un cadre de conservation du patrimoine.

 

La question de la « reprise de rôle » n’est pas propre à ce spectacle. Mais concernant le butô, et plus précisément Utt qui a été dansé de très nombreuses fois et partout dans le monde, par Carlotta Ikeda uniquement, jusqu’à sa disparition, nous nous sommes interrogés sur la part d’intimité de ce solo. Certains participants ont trouvé un peu illogique et ambigu que cette chorégraphie, personnelle et intime soit transmise. D’autres ont trouvé l’idée intéressante et étaient impatients de dénicher une captation de Carlotta Ikeda dansant Utt.

Malgré tout, dans l’ensemble tout le monde s’est accordé à dire que la transmission à Maï Ishiwata était une belle idée et que la captation n’aurait jamais pu transmettre au spectateur autant d’images et d’émotions que le spectacle en live. Le débat reste ouvert et chacune des questions abordées lors de ce Krinomen en ont entrainé d’autres qui sont restées sans réponses.

 

 

Pour conclure :

 

Le butô est une danse qui réunit une technique, qui demande une connaissance de soi et de son propre corps. C’est un moyen d’expression et d’extériorisation, un moyen de transmettre un message/ des émotions grâce au corps. Un médium qui est en constante évolution et remise en question. C’est une danse qui garde néanmoins des codes traditionnels, comme cette « seconde peau » qui consiste à se recouvrir de blanc. Les traditions et la culture de son pays d’origine l’imprègnent Dans Utt, la purification par le sel en est un exemple frappant. Ce sont tous ces éléments qui se complètent et permettent à l’interprète d’aller au plus profond d’elle-même, de chercher le « néant », les « ténèbres », afin que s’effectue la métamorphose, la renaissance.

Carlotta Ikeda est à l’origine d’Utt. Sa décision a été de transmettre son savoir et la chorégraphie de son solo à une jeune danseuse de la compagnie Ariadone : Maï Ishiwata. Utt, reste personnel à chaque interprète. Et le spectacle présenté au Glob Théâtre n’est pas complètement le même que celui dansé par Carlotta Ikeda. Maï Ishiwata nous confiait lors du bord de scène qu’il lui semblait n’être toujours pas parvenue à la métamorphose ultime. Il s’agit d’un travail permanent et progressif.

Concernant le spectacle, tous les spectateurs n’ont pas vu la même chose. Il est intéressant de souligner que cela ne gêne en rien l’appréciation du spectacle. Peut-être parce que ce n’est pas là que se situe l’essentiel du spectacle, dans la réception factuelle. Utt s’adresse d’abord aux sens avant de demander une intellectualisation. En partant de ce principe, il semble alors évident que la puissance du spectacle ne saurait être condensée en une captation, d’où l’importance de cette transmission, de ce partage.

 

 « Utt c’est l’onomatopée d’un coup dans le ventre. »

« L’onomatopée du cri de jouissance d’une femme »

Carlotta Ikeda

 

 Quant à la véritable définition, du nom « Utt », peu importe. Les hypothèses tout comme les affirmations (même provenant de Carlotta Ikeda) sont nombreuses et parfois légèrement contradictoires. Ce qu’il faut retenir c’est que pour Carlotta Ikeda, Utt était un voyage, la mise en scène de plusieurs moments de la vie d’une femme, mêlant sans cesse légèreté et violence, transformations et mutations. Le tout placé sous le signe d’une esthétique épurée. Utt n’est pas seulement à voir, c’est une expérience qui se vit et qui demande de se laisser ressentir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Pour en savoir davantage sur le bord de scène, voir le compte-rendu de la recherche de terrain publié sur le blog : http://krinomen.over-blog.com/2014/11/compte-rendu-des-recherches-sur-le-terrain-utt-cie-ariadone.html.

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2 novembre 2014 7 02 /11 /novembre /2014 09:43

 

Recherches effectuées par Anna Chabat et Loréa Chevallier.

 

Pour la préparation du débat du Krinomen sur le spectacle UTT de la compagnie Ariadone, nous sommes allées poser des questions aux spectateurs sous la forme d'un micro-trottoir le soir du spectacle, ainsi qu'aux artistes membres de la compagnie. A la question « qu'est-ce que pour vous le butô ? », voici quelques fragments de réponses :

 

« Hiroshima... ténèbres de l’âme, de l’humanité. Violences »

« Corps blancs. »

« Théâtre d’expression japonais. Film Cherry Blossom de Doris Dörrie. La mort. L’espace entre le moment où l’on meurt et le moment où l’on passe soit au paradis soit aux enfers. »

« Nuit. Noir. »

« Ce qui me renvoie les émotions les plus variées, les plus fortes. Moments sombres dans le butô avec des émotions comme l’effroi et la peur pas habituels dans la danse en tout les cas ».

« Danse japonaise, danse nue où l’expression du corps est primordiale.Voldemort. »

« Lenteur. »

« Détresse effrayante. Effarant. Animal. Grimaçant : comme un comique qui essaie de se libérer. »

« Sublime. Deuil. Blanc. »

« Les belles endormies de Yasunari Kawabata »

« La femme de sable de Kôbô Abe »

« violence extrême. »

 

La rencontre avec la compagnie c'est faite lors du bord de scène organisé le 10 octobre 2014, à la fin du spectacle. A cette occasion étaient présents Adrien Joubert (administrateur d'Ariadone), Laurent Rieuf (régisseur général) et Mai Ishiwata (danseuse interprète d'UTT). Il faut toutefois prendre en compte que le bord de scène est un espace informel. Les informations qui sont apportées ne sont pas figées. Les propos peuvent par la suite être modifiés par la compagnie. Voici la retranscription de quelques éléments de ce bord de scène :

 

Adrien Joubert explique que le spectacle est la deuxième version de UTT, la première ayant été créée à Tokyo. A partir des années 1980, Carlotta Ikeda venait régulièrement en France puis tellement régulièrement qu’elle a fini par s’installer à Paris. Au départ, ses danseuses venaient du Japon et puis elle s’est installée avec son équipe technique, d’abord à Paris puis à Bordeaux depuis une quinzaine d’années. La première fois qu’elle a joué à Bordeaux c’était en 1981 avec le spectacle Zarathoustra. Elle avait été invitée par le festival Sigma.

 

 

Pourquoi ce lien privilégié avec la France ?

 

D’après Laurent Rieuf, Il y avait un lien culturel : Carlotta appréciait les écrits d’Antonin Artaud, les peintres français. Mais surtout le hasard, les amis, les rencontres. Elle se guidait à l’humain, à l’instinct, les différentes invitations en France, ont occasionné des rencontres. C’est ainsi qu’ Eric Lousteau-Carrere et Laurent Rieuf deviennent son équipe technique à Bordeaux.

 

La méconnaissance du butô entraîne des malentendus et des réductions ; bien qu'appelée « la danse des ténèbres » et née d’Hiroshima, elle ne peut se réduire à ces deux éléments. Les origines de cette danse remontent à beaucoup plus loin, elle emprunte, par exemple, à l'expressionnisme allemand. C’est un style qui se nourrit de nombreuses influences. Laurent Rieuf ajoute que le butô est également apparu dans les années 1950 en réaction contre le poids de la culture japonaise et l’invasion de la culture américaine. Au début seuls les hommes dansaient puis des femmes ont été engagées.

 

 

Existe-t-il des notes écrites de UTT ?

 

Si Mai Ishiwata possède un cahier avec des notes, la transmission estdavantage passée par la mémoire du corps. La forme était le point de départ, mais Carlotta disait : « une fois que la forme est là, il faut l’oublier, dépasser ça et aller ailleurs » se souvient Mai Ishiwata.

 

 

UTT a été dansé uniquement par Carlotta Ikeda puis Mai Ishiwata ?

 

UTT est créé en 1980 au Japon par Komuro Bushi et Carlotta Ikeda, puis présenté en 1983 en France toujours dansé par Carlotta. Le spectacle tourne dans le monde entier puis, il y a à peu près deux ans, Carlotta a décidé de transmettre son solo.

 

 

Pourriez vous nous donner une définition du butô ?

 

Laurent Rieuf est le premier à répondre : Le butô c’est la danse des ténèbres, les ténèbres c’est l’âme, l’intériorité. C’est une danse très proche de la terre, ça vient du ara (la terre), du centre. Contrairement à la danse classique qui cherche à voler, qui est intellectuelle, le butô c’est une danse des tripes, de la terre. Carlotta a choisi le prénom de Carlotta Grisi (première créatrice de Giselle, ballet classique), une manière d'intégrer en elle l’opposition entre son butô et le ballet européen classique, aussi peut être parce que ça première formation était le classique, ajoute Adrien Joubert.

Pour Carlotta, le butô n’était pas une technique, c’était trouver sa danse, sa liberté, chercher à devenir le néant parce qu’en devenant néant, on peut redevenir tout. On efface le superficiel on va puiser au plus profond de soi et à partir de là tout est possible. Il y a dans le butô une recherche de la transe, une espèce de transe consciente. « Quand je danse je suis en transe mais je me regarde et je suis pas barré non plus », clarifie Laurent Rieuf. Il faut toujours être conscient de cette limite entre équilibre et déséquilibre.

 

Quelle signification donner au corps blanc ?

 

Le corps blanc c’est comme un costume dans le butô traditionnel. Cela vient du théâtre traditionnel japonais comme le Kabuki, ou le Nô. C’est aussi une manière de s’effacer soi, l’égo n’est plus là, ça permet aussi de laisser entrer autre chose.

 

 

 

 

Pour aller plus loin dans la réflexion :

 

A partir des informations recueillies grâce à ces interviews, nous avons effectué des recherches supplémentaires permettant d'aller plus loin dans la réflexion sur le spectacle. La question du sel a été abordée dans la bord de scène. Le sel est considéré comme un grand purificateur. Tirant sa signification du Shintoïsme, il avait auparavant sa place dans les rituels puis s'est peu à peu imposé comme élément du quotidien.1

On le retrouve ainsi lors des matchs de sumo : avant le début du combat, les deux lutteurs jettent sur le ring des poignées de sel. Ce geste a pour but d'offrir un combat juste et loyal.

  • Lorsque l'on reçoit chez soi la visite d'une personne ou d'un voisin non-désiré, on lance sur le seuil, à son départ, du sel.

  • Lors d'une inauguration d'une boutique ou d'un restaurant, lors d'un emménagement, les nouveaux propriétaires déposent de chaque côté de la porte deux petits tas de sel. Traditionnellement, ils attirent les clients tout en filtrant les mauvais esprits ou ceux qui ne sont pas désirables.

 

Encore aujourd'hui, le sel conserve une signification de purificateur envers la mort et l'au-delà dans les rites funéraires2 :

  • A la fin d'un enterrement, les visiteurs sèment du sel derrière eux en quittant le cimetière. Avec ce geste, ils laissent les défunts sur place et s'en séparent.

  • Lorsqu'un proche décède, la famille monte un petit autel dans sa maison. A côté de la photo, un petit tas de sel est déposé.

Lorsque l'on remonte dans les textes originels du Shintoïsme, notamment le Kototama, on retrouve un dieu qui est comparé au sel. Il s'agit de Kushimata, l'esprit mystérieux. Il est décrit comme « le sel dans l'océan, caché au centre de l'existence. » Il est perçu comme étant celui qui représente les perceptions qui vont au-delà du physique.3

 

 

Si l'on en croit l'artiste plasticien performeur Motoi Yamamoto, le sel est comme un pont entre la vie humaine et son au-delà. Suite à la mort de sa sœur à 24 ans, cet artiste a commencé à travailler uniquement le sel.4

Site officiel de Motoi Yamamoto : http://www.motoi.biz/english/e_top/e_top.html

Quelques œuvres citées par la compagnie ou par les spectateurs :

 

- Cherry Blossom : Film allemand de 2007 réalisé par Doris Dörrie.

Synopsis : Trudi découvre que son mari Rudi est gravement malade mais n'ose le lui avouer. Sous les conseils du médecin, elle emmène son mari rendre visite à leur fils à Berlin pour un dernier voyage. Mais face à une visite décevante, ils se rendent sur les bords de la mer Baltique. Mais un événement tragique arrive soudainement, obligeant Rudi dans un premier temps à reconsidérer sa femme puis à se rendre seul au Japon.5

 

- Les belles endormies : roman de Yasunari Kawabata, 1992, traduit par R. Sieffert.

Synopsis : « Dans quel monde entrait le vieil Eguchi lorsqu’il franchit le seuil des Belles Endormies ? Ce roman, publié en 1961, décrit la quête des vieillards en mal de plaisirs. Dans une mystérieuse demeure, ils viennent passer une nuit aux côtés d’adolescentes endormies sous l’effet de puissants narcotiques. Pour Eguchi, ces nuits passées dans la chambre des voluptés lui permettront de se ressouvenir des femmes de sa jeunesse, et de se plonger dans de longues méditations. Pour atteindre, qui sait ? au seuil de la mort, à la douceur de l’enfance et au pardon de ses fautes. »6

 

- La femme des sables : roman de Kôbô Abe, écrit en 1962, traduit en France par George Bonneau. Il a reçu au Japon le prix Akutagawa en 1962 et en France celui du Meilleur Livre Etranger en 1967.

Extrait : « La femme dormait parfaitement nue. Dans son champs visuel tout embrumé de pleurs, la femme apparaissait comme une ombre flottante. Elle dormait à même la natte, couchée sur le dos, et, à l'exception du seul visage, le corps entier tout découvert. Le bas-ventre était ferme, tendu, avec, de chaque côté, un pli étranglé ; et la main gauche, si légèrement, y reposait. […] Sur l'entière surface du corps, une couche de sable à fine texture posait, on eût dit, une tunique aussi fine et souple qu'une membrane. Noyant les détails, le sable détachait, en les forçant et les magnifiant, les courbes où se révèle et s'offre l'éternité de la femme. A s'y méprendre, sous son placage de sable, la Femme des sables était, au regard, devenue Statue... »7

 

 

 

1 Questions posées à Kang SangHee, contact coréen ayant travaillé et étudié 20 ans au Japon.

2 Informations apportées par Kang SangHee.

3  Aikido et enseignements traditionnels, Michel Soulenq, Ed. Amphora, 1984

4 http://www.sofoodsogood.com/2011/03/24/le-sel-du-japon/

5 Informations tirées du site Allociné, http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=133756.html

6 Site du livre de poche.com : http://www.livredepoche.com/les-belles-endormies-yasunari-kawabata-9782253029892

7 Site du livre de poche.com : http://www.livredepoche.com/la-femme-des-sables-kobo-abe-9782253059950

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8 avril 2014 2 08 /04 /avril /2014 14:20

 

 

Introduction :

 

Ce Krinomen du Jeudi 3 Avril sur Oncle Vania commence par une amorce imitant le début du spectacle, sur la musique des Everly Brothers, « Bybye Love ». Un fois le groupe réuni nous pouvons entamer le débat autour de la mise en scène de Lacascade. Nous avons tenté d’aborder les thèmes de la scénographie très créative du spectacle, du processus de création au sein de la troupe, le rapport au public ainsi que l’oeuvre de Tchekhov.

 

> La scénographie :

 

Dans le premier acte, la scène est allumée de la même manière que la salle, une table est suspendue, qui est en fait une rampe de projecteurs. Une rangée de panneaux clôturant l’espace, au trois quart de la scène laisse pour seul espace de jeu le proscenium. Les comédiens jouent également dans l’espace de la salle, certains arrivent du public ou des sorties de secours. L’espace est peu employé dans sa profondeur. Malgré le grand nombre de personnes dans la salle, on sent une volonté de proximité avec le spectateur. Le décor utilisé donne un aspect brut et métallique malgré le cadre bucolique et festif de la pièce. Alors que les personnages se trouvent dans un univers provincial, on fait face à un intérieur mondain et design. Très rapidement, les lumières s’assombrissent, l’éclat d’une boule à facettes recouvre les murs du TNBA d’une « voie lactée ». Une transition s’amorce, sur une musique de piano entrecoupée de moments flottants, les comédiens viennent déplacer les panneaux pour nous plonger dans un intérieur plus intimiste. La rampe de projecteurs remonte et laisse place à un « bouquet blanc » de luminaires, les panneaux deviennent des coulisses.


Ce changement marque l'entrée dans le quotidien des personnages. L’ambiance devient lourde, pesante. Une table et des chaises viennent se rajouter au décor. Chaque élément scénographique sert considérablement le jeu des comédiens, tout est en mouvement même jusqu’au dernier acte où les chaises se retrouvent alignées coté jardin et la table est déplacée coté cour. Un endroit de passage s’ouvre en fond de scène permettant la déambulation des personnages. Cette scénographie épurée, brute, joue avec le mélange d'un réalisme foudroyant et d'un univers imaginaire aérien. La mouvance du décor sert le jeu dans ce qu’il a de comique et de touchant. En s’appuyant fortement sur le texte, cette mise en scène tend à respecter l'univers qu’est celui d’Oncle Vania de Tchekov.

 

> Le rapport au public :

 

Ce spectacle entretient un certain rapport avec le public. Sans l’inclure en le rendant complètement acteur de la pièce, il le prend en compte et l’embarque dans son univers. Pour ce faire, plusieurs éléments sont mis en place notamment grâce à la scénographie et au jeu des acteurs. En effet, durant le premier acte, les comédiens invitent le spectateur dans le spectacle par le biais d’adresses directes, de regards et de partage d’énergie. Au niveau de la scénographie cela se ressent tout d’abord grâce aux lumières restées allumées tout le long du premier tableau, puis qui se transforment en ciel étoilé. Le public est alors baigné dans la même atmosphère que la scène et nous nous sentons dans un univers commun à celui des acteurs. Les comédiens déambulent aussi dans le public, surtout dans le premier tableau. Ainsi, certains acteurs font leur entrée en haut de la salle et traversent tout les gradins avant d’arriver sur la scène, un autre surgit aussi d’un des sièges de l’assistance, rompant ce rapport scène/public.


De plus, le fait que le premier tableau se déroule uniquement en avant scène, permet d’effacer les frontières habituelles entre la scène et les gradins et il en ressort une impression de proximité avec les comédiens. Cependant, le spectateur peut parfois se sentir submergé par l’énergie et les situations multiples déployées sur scène. En effet, il est rare qu’une seule action se déroule à la fois, et le spectateur doit plus ou moins « décider » sur quel personnages il veut se focaliser. Malgré cet aspect un peu bavard, le spectacle réussit tout de même à prendre en compte le public notamment durant les deux premiers tableaux (le spectacle se recentrant plus sur la scène au fur et à mesure que l’histoire avance).

 

> Le jeu des comédiens :

 

La première chose qui frappe le spectateur, c’est que tous les personnages semblent avoir la même importance. En effet, il n’y a pas ce qu’on appelle de « faire valoir ». Il se dessine chez les acteurs une dynamique de collectif uni et harmonieux. Certaines personnes se sont même demandé pourquoi le titre Oncle Vania ? Cependant, le personnage de Vania est plus sujet à l’angoisse du quotidien, qui semble être le thème majoritaire de la pièce. Éric Lacascade joue plus sur la situation que sur le « personnage » au sens très psychologique du terme. Donc, tous les comédiens ont un moment d’importance. Néanmoins, il ressort une certaine humilité du jeu des comédiens. Par opposition à l’humilité et au réalisme de la pièce, on trouve certains moments qui sortent du cadre réaliste et créent des effets de distanciation dans la pièce. Pour créer cette sensation du moment, de la situation, les comédiens ont travaillé par l’improvisation et ont aussi travaillé sur des personnages qui n’étaient pas les leurs. Dans cette pièce, le jeu des comédiens est sincère. Il ressort même une certaine fragilité des comédiens, c’est selon certains, la vrai « prise de risque » du spectacle. Les comédiens se présentent comme « à nu » devant une salle de 800 personnes. On sent aussi leur incapacité à évoluer de leur condition de « petit bourgeois de province ». Ils en reviennent au même point de départ, rien n’a changé. Ce qui reste, c’est leur gueule de bois !

 

> Entre dramatique et comique :

 

Tchekov, malgré son désir d'écrire des pièces comiques, est connu pour l’aspect dramatique de ces pièces. En effet, c'est en cela qu'on peut dire que Lacascade a vraiment voulu faire ressortir ces deux aspects dans sa mise en scène. Il parvient à sortir du dramatique à travers la légèreté du jeu burlesque de ses comédiens pour nous plonger directement après dans une ambiance émouvante mélodramatique. La pièce traitée ainsi sur deux tonalités différentes laisse le spectateur libre de la voir de son point de vue tragique ou d’un point de vue comique. Ce qui est remarquable c'est que ces deux émotions ont tendance à se superposer au même moment. Par exemple, lorsque le personnage de l'oncle Vania surprend la femme qu'il aime en train d'embrasser un autre homme, la situtation telle qu'elle est amené de manière comique mais la sincerité du comédien met le spectateur en empathie, ce qui crée une juxtaposition dans le ressenti de celui qui regarde. Dans cette mise en scène le tragique et le comique se superposent donc de façon naturelle pour le spectateur, la rendent à la fois drôle et triste, comme un tableau de la vie.

 

> Oncle Vania : un "exercice de style" ?


Cette mise en scène laisse l’impression d'une évidence. Du bon théâtre, « du chocolat comme on aime ». Dans le rythme, par exemple, tout se coordonne parfaitement, on a l’impression de voir une vraie continuité. Avec cette présence des corps, les acteurs créent une réelle esthétique du geste et du mouvement grâce à laquelle on arrive à imaginer le souvenir d’un portrait de famille.


Cependant... on se demande ce que veut montrer Lacascade. Certains reprochent au metteur en scène de n’avoir pas poussé au maximum la « prise de risque » ? Mais qu’est ce que la prise de risque ? Est-ce une certaine fragilité du comédien ou le fait de transgresser les règles ou encore n’est-ce qu’une mode, une promotion de la nouveauté au théâtre aujourd’hui ? Si le metteur en scène n’a aucune volonté de casser les « codes », ce spectacle ne serait-qu’un exercice de style? En effet on peut dire que ce spectacle a suscité peu de réactions négatives dans sa réception et a créé une certaine unanimité. Il n’y a pas de recette de bon spectacle mais ce spectacle a réussi à mettre beaucoup de personnes d’accord car il a su toucher ce qu’un grand nombre de spectateurs cherchent en allant voir un spectacle, c’est à dire, l’approfondissement d’une œuvre, un théâtre du « moment ».

 

Conclusion :

 

Ce Krinomen a été plutôt, et de manière surprenante, calme. Selon les participants

eux-mêmes, cela semble être dû au consensus plutôt global qu’a reçu la pièce. En effet, comme il l’a été évoqué dans la partie précédente, certains participants ont vu cette pièce comme un simple exercice de style sans grand risque. On évoque du « chocolat comme on aime » : le chocolat reste le même et reste donc bon même sans originalité.

Cependant cette vision fut sujette à beaucoup de réactions. Selon d’autres participants, cette mise en scène est l’approfondissement d’une oeuvre par Lacascade, que cette mise en scène est humble simple et belle et qu’il est rare de voir autant d’authenticité et de fragilité chez des comédiens, particulièrement dans l’enceinte très institutionnelle du TNBA.

 

 

Compte-rendu réalisé par Jeanne Laffargue, Emile Ragot, Manon Robert, Thibault Seyt, Maxime Suaire, Vivien Thomas.

 

 

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  • : Le blog du krinomen
  • : Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
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