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25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 17:55

 

Animation du krinomen du 6  février 2014 :  Amély Colas, Monica Loise et Marine Lastécouères   

 

Prise de notes et rédaction du compte-rendu :  Amély Colas et Marine Soulié

 

 


Le krinomen a débuté avec le visionnage du documentaire Cour d’honneur et champs de bataille, réalisé en 2006 par Michel Viotte et Bernard Faivre d’Arcier (1). Il nous présente les 60 ans d’histoire du Festival d’Avignon par un déroulé chronologique, depuis sa création en 1947 par Jean Vilar jusqu’en 2005, et comporte essentiellement des interviews de professionnels du spectacle ayant collaboré de près ou de loin à ce festival, ainsi que différentes archives illustrant les périodes évoquées. La présentation complète de ce documentaire a été effectuée dans l’avant-papier réalisé par Anna Chabat et Lorea Chevallier (2).

 

Cette rencontre s’est articulée autour d’une analyse de l’image du spectateur en Avignon (spécifiquement pour les spectacles du « In ») à travers des propos tenus dans le documentaire. La problématique première du débat a été de questionner la place réelle du spectateur dans le Festival, étant tout d’abord donné son absence au sein du documentaire. Dans un premier temps, nous avons abordé la manière dont le documentaire a été perçu après son visionnage, puis dans un second temps, le rôle donné au public du Festival d’Avignon.

 

Considérant que Bernard Faivre d’Arcier fut le directeur du Festival d’Avignon de 1980 à 1984 et de 1993 à 2003, qu’il est un des auteurs du documentaire ainsi qu’un des coproducteurs (il est l’un des créateurs de la chaîne Arte), pouvons-nous dire que le documentaire est utilisé comme outil de promotion du Festival ? Que Bernard Faivre d’Arcier cherche à reconquérir un public peut-être perdu après le « scandale » de 2005, alors que l’on s’apprête à célébrer les 60 ans du Festival ?

 

 

Tout d’abord, analysons la forme du documentaire. Il montre le Festival d’une manière plutôt clichée, comme endroit « magique » où tous les plus grands metteurs en scène viennent et marquent l’histoire, où le spectateur est en harmonie avec les lieux et ce qu’il s’y passe, un endroit où « l’amour du théâtre » règne et rend compte de tout son prestige. Le documentaire est monté de manière très consensuelle : sur une musique dramatique, il présente le Festival comme « le rêve Avignon », tout ceci visant à entretenir le mythe qu’est cet évènement.

 

Au niveau du contexte, le documentaire est sorti en 2006, soit un an après le scandale survenu en 2005. Il peut apparaître alors comme un moyen de se justifier (c’est ce que suggère également le titre Cour d’honneur et champs de bataille). En l’occurrence, à aucun moment ne sont évoquées les révoltes de 2003 concernant « la modification des règles d'indemnité chômage des intermittents du spectacle » (3). Pouvons-nous alors dire que les responsables ne parlent que de ce dont ils peuvent se justifier ?

 

 

Intéressons-nous maintenant au fond du documentaire. En réponse à la question d’une éventuelle fonction promotionnelle, une hypothèse commune est apparue : c’est un film qui se veut documentaire mais qui est en fait une forme de promotion pour le public qui vient en Avignon, pour le garder fidèle. En prenant en compte les conditions de diffusion (ce documentaire a été diffusé sur Arte), on peut affirmer qu’il touche un public qui s’intéresse déjà à ce festival. Par ailleurs, le titre même paraît orienté : le documentaire est destiné à toucher un public déjà averti du scandale de l’année passée. Une personne ne connaissant pas les détails de la crise de 2005 et les fondamentaux du Festival (la Cour d’honneur du palais des Papes) ne saurait pas forcément, en regardant les premières images, que ce documentaire traite d’Avignon. Enfin, d’un point de vue technique, un documentaire étudie normalement plusieurs documents pour développer une pensée objective. Or ici, cela ressemble beaucoup à un documentaire mais a la forme d’une promotion car il n’y a pas une diversité de points de vue qui se font face.

 

Nous avons également mis en avant, lors du débat, un aspect qui nous paraissait étrange à tous : les intervenants ainsi que le narrateur du documentaire relatent presque continuellement le ressenti des spectateurs, mais ne leur donnent presque jamais la parole directement. C’est pourtant un festival qui se veut populaire, comme l’avait voulu Jean Vilar (son créateur). Pour aller plus loin dans l’analyse de ce fait constaté, nous l’avons mis en rapport avec l’idée précédente suivant laquelle le documentaire touche un public pour partie déjà spectateur de la Cour d’honneur : seul le public effectif du Festival peut comprendre ou faire résonner en lui les idées relatées par les divers intervenants, étant donné qu’il auparavant vécu des expériences de festivalier dans la Cité des Papes.

 

 

Maintenant, parlons plus largement de la place du public à Avignon. Quel rôle le spectateur a-t-il réellement durant le Festival ?

 

D’une manière générale, le public est un habitué du théâtre, il est parfaitement conscient qu’il est à Avignon et qu’il participe à un festival de création théâtrale. Son but est d’être surpris, et c’est ce pourquoi il s’y rend. Il sait aussi qu’il détient un rôle majeur, ce pourquoi Vilar le disait « participant » : en faisant des retours aux metteurs en scène après les spectacles, le public peut devenir artisan de quelques changements de la mise en scène. Il assure alors une fonction de première appréhension, de test. Deux hypothèses peuvent s’opposer : dans un premier cas, l’échantillon du public du « In » peut annoncer le succès que va rencontrer le spectacle lors de  la saison culturelle où il sera programmé, ou dans un second cas, qui est alors opposé au premier, des spectacles peuvent être appréciés au Festival et ne pas retrouver ce succès dans la tournée nationale. Ne pourrait-on pas penser que le public qui n’est pas rompu à assister à ce type de spectacles provocateurs est susceptible de le recevoir différemment ?

 

D’après les témoignages des professionnels interviewés, qui ne sont pas spectateurs, le rôle du public est d’autant plus important à Avignon qu’il s’établit un échange vif entre la scène et la salle. Les spectateurs qui montrent leur mécontentement ou des signes de fatigue créent une émotion nécessaire aux comédiens sur scène. Valérie Dréville, dans notre documentaire, parle même, au sujet du Soulier de satin mis en scène par Antoine Vitez à la Cour d’honneur en 1987, d’un spectacle « retourné », car la salle devient un spectacle pour les acteurs.

 

Mais concernant le genre de personnes qui se rendent à ces représentations, l’idée générale qui se dégage est qu’elle forme une sorte « d’élite théâtrale » : des « spectateurs parfaits », qui ont acheté des places relativement chères (entre 13 et 45 euros) et qui pour beaucoup ont réservé leur séjour avant même de connaître la programmation du Festival. Avec cette « élite théâtrale », on perd le caractère populaire du Festival, et donc son idéologie de base.

 

 

Si l’on prend en compte tout ce qui précède, ne pourrions-nous pas dire que le public du Festival est considéré alors comme acquis ?

 

En effet, il peut être acquis sur différents points. Le nombre de festivaliers, dans les années 2000, a cru ou s’est stabilisé et a atteint ces dernières années des niveaux très hauts (plus de 90% de taux de fréquentation en moyenne). Aussi, le fait que le Festival accueille des metteurs en scène ayant déjà une réputation nationale ou internationale garantit d’autant plus la fidélité du public. Enfin, la pluridisciplinarité qui s’est installée avec le temps (théâtre – danse – performance – arts plastiques – expositions – cinéma) a fait que le Festival d’Avignon propose une palette de choix où chacun peut trouver son compte. De plus, selon les différents directeurs, l’enjeu du Festival est d’agir à la manière d’un rendez-vous.

 

Mais pour préciser le terme « acquis » dans notre analyse, ici, il ne veut pas dire que le spectateur est prêt à tout accepter, tout voir, tout entendre, tout subir, mais plutôt à tout tester ; il n’est pas non plus toujours d’accord, formant un public unifié. Un théâtre qui se veut populaire n’a pas forcément à être consensuel. Dans chacune des performances jouées, il y a toujours l’idée de présenter un monde, un univers.

 

 

Sous la direction de Jean Vilar, quelle relation engageait-il avec le public ? Qu’attendait-il du public ? Le public d’aujourd’hui est-il celui qu’il espérait ?

 

Jean Vilar voulait faire un festival en province qui touche un public populaire et jeune, différent de celui que l’on trouvait à l’époque à Paris. Un festival avec du théâtre de qualité et avec des tarifs abordables, dans l’idée de réunir toutes les couches de la société autour d’un moment commun. La relation au public n’était pas la même : elle était plus spontanée et artisanale. Vilar voulait un théâtre où tout le monde puisse rentrer à tout moment, un endroit où le spectateur pouvait rencontrer les artistes facilement pour débattre directement de ce à quoi il avait assisté. Mais depuis 1947, les années et les décennies ont passé et le petit festival est devenu victime de son succès et a changé : la densité du public a considérablement augmenté, le Festival est alors devenu plus commercial, la possibilité de faire des bénéfices (symboliques sinon réels) a pris le dessus, donc le côté relationnel a été un peu perdu, et surtout le côté populaire.

 

 

Pour conclure, il est important de noter que nous nous sommes basés sur une catégorie de personnes n’ayant majoritairement pas assisté au Festival d’Avignon (seulement 5 sur 56). Concernant l’objet de recherche en lui-même, sous ses aspects de documentaire, il n’est que promotion qui touche un public déjà acquis, et dans laquelle les différentes révoltes sont seulement survolées. Enfin, concernant le Festival « In », nous pouvons dire qu’il s’est rendu avec le temps inaccessible au public populaire notamment de par son coût et l’organisation qu’il engendre.

 

 

Pour aller plus loin…

 

Le public de théâtre en général n’est-il pas lui aussi acquis ?

N’est-ce pas Jean Vilar lui-même qui a débuté ce processus d’image vaniteuse ?

Le Festival d’Avignon ne renvoie-t-il pas au théâtre bourgeois du XVIIIe siècle, un théâtre fait pour se montrer ?

 

Sources 

(1)  Cour d'honneur et champs de bataille, de Michel Viotte et Bernard Faivre d'Arcier, coproduction ARTE France/La Compagnie des Indes/Ina, 2006, 75 mn.

 

(2) A lire sur http://krinomen.over-blog.com/article-cour-d-honneur-et-champs-de-bataille-michel-viotte-et-bernard-faivre-d-arcier-122388085.html. 

 

(3) S.n., « 1980-2003 », texte publié sur le site Internet du Festival d’Avignon, rubrique « Histoire », URL de référence : http://www.festival-avignon.com/fr/History/10. 

 

 

 

 

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25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 12:47

 

Animation du krinomen du 30 janvier 2014 :  Eva Foudral, Richard Manoury, Gaëtan Ranson, Hélène Godet, William Petipas et Maïlys Habonneaud 

 

Prise de notes et rédaction du compte-rendu : Hélène Godet et Maïlys Habonneaud

 

 

Swamp Club de Philippe Quesne et du Vivarium Studio, présenté au Carré des Jalles le 24 janvier

 

Cette séance a commencé par une brève reproduction de quelques images phares du spectacle. Les animateurs, vêtus de peignoirs, erraient avec lenteur derrière les vitres de la salle d’exposition jusqu’à l’arrivée vacillante de la taupe malade. Chaque animateur du débat s’est ensuite emparé d’un petit groupe d’étudiants pour les entrainer jusqu’à la salle de spectacle à travers des chemins différents. Ces petits groupes avaient pour but de créer un cadre intime et accueillant pour le krinomen en référence à l’accueil des résidents effectué dans Swamp Club. Pendant cette déambulation, les participants ayant vu le spectacle étaient chargés de le décrire aux autres. Le débat en grand groupe commença donc par un retour sur les différents éléments du spectacle (la scénographie, le jeu des comédiens, la narration, etc.) qu’avaient pu comprendre les étudiants ne l’ayant pas vu, accompagnés des précisions apportées par les autres.

 

 

La scénographie imposante alourdit-elle le spectacle ou le sublime-t-elle ?

 

La scénographie est retenue comme un point intéressant du spectacle. Très élaborée, elle est une œuvre plastique esthétique qui capte l’attention. Le spectateur est entrainé dans un cadre beau et utopique. Il est précisé que Philippe Quesne est issu d’études en art-déco et que son métier consiste également à créer des installations. Un grand nombre de ses spectacles ont été réalisés sur le thème de la nature. On retrouve par exemple sur le plateau de Swamp Club un marécage, une grotte et de la végétation. Lors du bord de scène, ce dernier a fait référence à sa passion pour le vivarium qu’il possédait étant petit et grâce auquel il observait des phasmes. Le plaisir de la contemplation lui viendrait de là et cela expliquerait pourquoi ses spectacles (se) placent dans cette lenteur de l’observation. Philippe Quesne revendique l’importance de prendre le temps de regarder, la banalité d’un quotidien comme celui présenté dans Swamp Club est pour lui quelque chose d’aussi fascinant que la lenteur d’une vie d’insecte de vivarium.

 

Si la scénographie fait l’unanimité, il en est autrement pour le reste des éléments du spectacle. Compte-tenu de l’exploitation très aboutie du décor, le spectateur, placé au départ dans un mode contemplatif, peut s’attendre à ce qu’il se passe quelque chose, à ce qu’il y ait du mouvement autour de ce dispositif. Mais durant 1h40, rien ne se passe entre scène et salle, comme si la scénographie l’avait emporté sur le reste du spectacle. C’est ainsi que les acteurs et leurs personnages se retrouvent écrasés par la construction. Ils n’existent plus face à ce décor proéminant, d’autant plus que leur jeu est très réduit, lent et discret. Même lorsque le Swamp Club est en danger et que le spectateur s’attend à un état de panique, les personnages restent égaux à eux-mêmes : « peu approfondis, plats et monocordes », pour reprendre les termes de Maxime. Le jeu reste inchangé tout au long de la représentation, particulièrement axé sur les déplacements longs et fréquents, qui sont parsemés de dialogues caractérisés comme ennuyeux et sans fond.

 

Cet avis n’est pas partagé par l’ensemble de l’assemblée puisque Chloé caractérise la scénographie comme un jeu de poétiques. Le metteur en scène présente un lieu utopique dans lequel les personnages évoluent à leur rythme. On assiste à la douce déambulation des acteurs dans les différents tableaux, les différents espaces proposés par le dispositif. Les acteurs et leurs personnages ne sont pas effacés par le décor, puisqu’ils en font partie, ils interagissent avec et entre eux et amènent le changement. La taupe, par exemple, est un élément déclencheur du changement de scénographie et de mouvement.

 

L’assemblée s’accorde à dire qu’il s’agit d’un spectacle sur le rêve ou sur un monde parallèle. On y voit une secte, un robin des bois, divers éléments désorganisés et incongrus. Comme dans un rêve étrange, les mouvements sont lents, on peut jouer avec le temps. Des artistes rêvent cette utopie pour pouvoir créer à volonté. Il n’est pas possible de créer dans le monde réel alors l’artiste doit s’isoler. Une image photographique géante de la ville, déplacée et posée sur la scène, met en avant le contraste entre le monde utopique de l’artiste et l’extérieur. On fait un parallèle avec ce qui se passe en ce moment à Berlin : les artistes sont victimes d’exclusion alors ils se créent leur idéal, dans un espace à part. Comme des soixante-huitards qui auraient maintenant 60 ans, les personnages s’habillent à la mode « djeun’s » d’antan en prônant l’anarchie. Ils veulent un monde à eux et combattre ceux qui les en empêche.

 

C’est un lieu irréel dans lequel circulent les légendes. L’absurdité de cet endroit est, selon certains, tournée comme une banalité. Des participants au débat considèrent au contraire  ce lien entre absurdité et banalité comme quelque chose d’intéressant : cela crée une étrangeté pertinente à leurs yeux et permet de rendre poétique un jeu quotidien. Cette question de la banalité oppose : la discussion des personnages autour des pépites d’or est banale et « vide d’émotion », ce qui est contradictoire avec leur étrangeté, et pour certains, cette absurdité est annihilée par son traitement quotidien. Ces pépites d’or en polystyrène, comme le costume de Robin des bois tout droit sorti d’un magasin de farce et attrape, sont des éléments qui discréditent le spectacle et les effets d’étrangeté qu’il cherche à créer.

 

 

Toute cette fiction et ces effets spéciaux rendent-ils le spectacle cinématographique ?

 

Le quatrième mur, les différents espaces, la fumée, la présence des micros sont autant de détails qui renvoient à un univers cinématographique. Ce qui amène certains à penser que le spectacle serait plus intéressant adapté au cinéma. Au théâtre, les micros créent de la distance, ils incitent les acteurs à tourner le dos à la salle et, pour certains, empêchent le contact. Les acteurs sont entre eux dans le vivarium et le public n’a pas sa place. Le jeu quotidien et intime correspond au jeu que l’on trouve souvent au cinéma. D’autant plus que les mouvements de la caméra et les plans choisis ajouteraient du dynamisme. Puisque l’important est d’abord la scénographie, l’image, Swamp Club aurait pu faire un intéressant court-métrage.

 

Cet opinion n’est pas partagée par tout le monde puisque ce dispositif théâtral permet au spectateur d’avoir une vue d’ensemble, contrairement au cinéma qui oriente son regard. Ici, on a le choix. Une étudiante précise : « je ne cherche pas à comprendre, je regarde ce que je veux ».

 

D’autres pensent que le spectacle est donné à voir avec le regard d’un enfant. L’histoire ressemble à celle qu’aurait inventée un parent pour son enfant, une histoire hésitante, pas toujours cohérente, mais une histoire douce et belle. Philippe Quesne entrainerait ainsi le spectateur dans son univers personnel. Il se livre, montre sa maison, son jardin, sa personnalité, sa bulle naturelle et écologique dans lesquels « on est invité comme chez des amis », précise un étudiant.

 

 

Les animateurs du Krinomen proposent ensuite aux participants de visionner une vidéo sur le spectacle. Celle-ci ne dure que quelques minutes et rassemble différents extraits, elle permet aux étudiants n’ayant pas vu le spectacle de mieux comprendre ce que les autres ont pu leur dire de la scénographie et du jeu des comédiens. Les réactions face à cette vidéo sont rapides et positives : les participants au Krinomen, qui pour certains découvrent le spectacle avec cette vidéo, sont nombreux à exprimer leur désir de le voir « en vrai » et en entier, et leur incompréhension face au rejet global du spectacle. Certains étudiants ayant vu le spectacle prennent ensuite la parole pour expliquer aux autres pourquoi cette vidéo donne une vision positive et erronée, à leurs yeux, du spectacle. La vidéo centre le regard sur la verrière et en montre l’intérieur très facilement ; pourtant, dans la réalité du spectacle, cette verrière n’est qu’un élément de la scénographie et il s’agit en fait d’une petite partie du plateau. Il est moins facile de percevoir ce qui se passe dans la verrière quand on est spectateur du spectacle que lorsqu’on voit la vidéo. La vidéo montrerait également les trois meilleures blagues du spectacle et cela expliquerait les rires entendus pendant sa diffusion : celle-ci donnerait à voir tous les passages intéressants du spectacle en cinq minutes.

 

 

Un spectacle représentatif d’une forme spectaculaire contemporaine ?

 

Nous nous demandons ensuite si Swamp Club peut s’inscrire dans un genre de spectacles particuliers et contemporains, qu’une étudiante dit trouver assez courants et caractérise comme des spectacles ironiques et décalés. Swamp Club, par la présentation à la fois banale et absurde qu’il fait d’un quotidien assez ordinaire, jouerait avec ces nouveaux codes du théâtre contemporain : l’expérimentation, l’importance de l’image et des effets spéciaux spectaculaires. Le travail plastique présent dans la scénographie de Swamp Club est aussi, pour certains étudiants, un élément qui rejoint cette idée : l’image pour l’image, les sensations dominant le « sens ». Le but de ce théâtre serait de mettre le spectateur dans une position de contemplation esthétique plutôt que de tenter de l’amener vers un propos précis, déterminé.

 

Quelques étudiants rapprochent Swamp Club d’un autre spectacle vu au premier semestre,  Au pied du mur sans porte, de Lazare. Les points communs qu’identifient les participants au débat entre ces deux spectacles sont l’importance de la scénographie, le travail très précis sur la lumière et surtout le fait de perturber les codes habituels du théâtre en brouillant le sens et la narration traditionnelle. Pourtant, certains étudiants s’opposent à cette interprétation : pour eux, ces deux spectacles n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Au pied du mur sans porte, contrairement à Swamp Club, ne proposerait pas un regard contemplatif au spectateur. La fable du spectacle, déconstruite et décousue, n’aurait rien à voir avec le quotidien lent de Swamp Club. La parole adressée directement au spectateur, la rapidité des changements de plateau et d’états de personnages apporteraient une étrangeté à la narration qui n’aurait rien de banale et de quotidienne. Le propos d’Au pied du mur sans porte est également selon certains défini et exprimé clairement pendant le spectacle, contrairement au flou laissé au spectateur quant à l’interprétation de Swamp Club.

 

 

La lenteur est-elle l’ennemie du spectateur ?

 

La troisième partie de ce Krinomen reprend une question déjà évoquée dans le débat pour tenter de l’approfondir : nous nous intéressons de façon plus générale à la lenteur comme élément principal d’un spectacle. La question de départ est : « La lenteur est-elle l’ennemie du spectateur ? ». Les participants doivent alors se positionner en accord ou en désaccord face à la position portée par cette question. Les deux groupes se séparent avec pour objectif de réfléchir à des arguments pouvant étayer leur opinion. Les débats se font en plus petits groupes et la prise de parole peut donc s’en trouver simplifiée. La réflexion dans chaque groupe tente d’aller vers la précision des arguments qui se complètent plutôt que dans la recherche de contradictions. Les deux groupes se rassemblent ensuite pour s’exposer l’état de leur réflexion et le débat se poursuit à partir des différents arguments qui ont été trouvés dans les deux groupes.

 

 

« La lenteur n’est pas l’ennemie du spectateur »

 

 

La notion générale de « lenteur » semble être tout d’abord difficile à définir. Ce groupe s’interroge sur la lenteur en exprimant un premier avis : d’un spectacle à l’autre, la lenteur est différente et il est donc complexe d’essayer de généraliser ce qui ne s’observe que dans des cas particuliers. En effet, la lenteur peut être utilisée de façon pertinente ou pas et, de la même manière, peut ou non servir à créer des changements de rythme susceptibles d’enrichir le spectacle. L’animateur de la discussion propose donc, face à cette difficulté, de recentrer cette question sur Swamp Club en se demandant si, dans ce cas précis, la lenteur évidente dans le rythme du spectacle et dans le jeu des comédiens porte le spectacle. Les participants de ce groupe s’accordent à dire que dans ce spectacle, la lenteur apporte de la douceur et du calme. Cela paraît être une chose positive pour ce groupe, qui précise que cela ajoute à la dimension onirique de la scénographie évoquée plus tôt.

 

Un participant souligne le fait qu’au cinéma, le spectateur est plus habitué à la lenteur et à voir des films contemplatifs. Un spectacle comme Swamp Club, ou plus largement le travail du Vivarium Studio, tenterait par sa lenteur de proposer aussi au théâtre un espace de calme et de contemplation, et donc d’inventer un rapport au spectacle différent, centré sur la plasticité de sa scénographie et la présentation surréaliste d’un quotidien assez banal. Il est intéressant pour ce groupe de présenter au théâtre du calme et de la lenteur, car le théâtre doit aussi pouvoir être un lieu qui permette de se sortir du quotidien, il doit pouvoir proposer un espace se différenciant du rythme effréné dans lequel le spectateur était, avant d’arriver dans la salle.

 

 

« La lenteur peut être l’ennemie du spectateur »

 

 

Pour le second groupe, la lenteur d’un spectacle peut être problématique. En effet, un spectateur lambda est par principe, selon eux, dans l’attente de mouvement et de dynamisme ; la lenteur aurait donc, ici, un effet élitiste qui ne permettrait qu’aux spectateurs habitués du théâtre d’apprécier le spectacle. Il faudrait être dans une démarche favorable à la contemplation pour se laisser porter par un spectacle comme Swamp Club et cela laisserait de côté un certain nombre de spectateurs qui cherchent à voir un spectacle dynamique. Ce groupe précise aussi que, si la contemplation peut être intéressante, elle demande une attention et une concentration plus difficiles à trouver et que souvent, la contemplation peut se transformer en ennui, voire en endormissement.

 

La lenteur est également critiquée par ce groupe, qui souligne que beaucoup de spectacles contemporains utilisent la lenteur pour se montrer « penseurs » et paraître plus intellectuels. Cette utilisation est dénoncée comme relevant plus d’une posture d’artiste que d’une sincérité de proposition.

 

 

La taupe se lève, fait quelques pas et s’effondre : le Krinomen arrive à sa fin.

 

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16 décembre 2013 1 16 /12 /décembre /2013 21:40

 

Animation du krinomen du 4 décembre 2013 : Enzo Cescatti, Nina Ciutat, Adrien Poisbleau et Cindy Venant


Prise de notes et rédaction du compte-rendu : Juliette Dumas-Moreau et Marine Simon


 

Cette séance de krinomen s'est ouverte sur la présentation du parcours artistique de Lazare, auteur et metteur en scène du spectacle et directeur de la compagnie Vita Nova créée en 2006 à Paris. Au pied du mur sans porte fait partie d'un triptyque comprenant également Passé - je ne sais où, qui revient et Rabah Robert. Les animateurs de ce krinomen, Enzo, Nina, Adrien et Cindy, pour terminer leur présentation du spectacle, ont projeté la bande-annonce de ce dernier.

 

 

Le résumé de la pièce et la scénographie du spectacle

 

Au pied du mur sans porte relate l'histoire de Libellule, jeune garçon en difficulté qui se confronte au monde actuel. L'histoire est déconstruite, puisque nous assistons à des changements constants de lieux, de temps, de personnages (pourtant joués par les mêmes comédiens).

 

Dans la scénographie du spectacle, ce n'est pas un mais plusieurs espaces scéniques délimités par les lumières, qui nous offrent à voir différents espaces de jeu toujours en mouvement. Le spectateur est donc toujours contraint à faire un choix, celui de porter son attention sur tel ou tel autre espace de jeu, espace de jeu théâtral ou espace de jeu musical (des musiciens jouent sur scène). La scénographie est donc en perpétuel mouvement, Libellule et les spectateurs sont dans la même position, c'est-à-dire face à un monde qui ne prend pas le temps d'attendre.

 

Déjà à ce stade du krinomen, les avis étaient extrêmement divergents et la question du pourquoi cette scénographie s'est alors posée.

 

 

La place du spectaculaire et du poétique dans Au pied du mur sans porte

 

La scénographie d'Au pied du mur sans porte joue sur les espaces clos et ouverts et ce grâce aux lumières qui dessinent des aires de jeu sur le plateau. Il n'y a pas une ambiance générale, mais différentes lumières ponctuelles qui créent des espaces physiques et qui représentent aussi des espaces mentaux. La scénographie n'est pas réaliste, mais plutôt représentative du tourbillon dans lequel Libellule évolue et se débat. On sait que Lazare a créé cette pièce suite aux événements survenus dans les banlieues sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et l'instabilité de la scénographie, le déséquilibre présent dans tout le spectacle leur fait écho.

 

Lors de la représentation, quand le public entre dans la salle, les comédiens sont déjà sur scène, dansent, chantent, font en quelque sorte « n'importe quoi » et on peut y voir une annonce du fait que le public va devoir accepter ce « n'importe quoi ». Il y a bien dans Au pied du mur sans porte une logique narrative, mais très vite le spectateur s'égare, se perd dans ce fourmillement de mots, de mouvements, d'actions. Cependant, plusieurs étudiants se sont accordés sur l'idée que tout cela servait le propos et faisait alors ressentir au public ce que devait ressentir Libellule. En effet, la mise en scène cherche à établir une connexion entre le personnage principal et le public, les spectateurs sont invités à entrer dans son univers. D'ailleurs, à un moment donné, les comédiens vont dans la salle et embrassent certains spectateurs.

 

La musique, quant à elle, permet d’apaiser les moments de tension et de violence. Elle articule aussi entre elles certaines scènes, elle donne du rythme, une dynamique à la pièce.

 

 

Nina a ensuite fait remarquer que tout au long de la représentation, les comédiens jouaient toujours sur le même niveau de jeu, un jeu très énergique, et a demandé alors si cette manière de jouer ne créait pas l'effet contraire à celui escompté, c'est-à-dire un rejet du public envers le propos de la pièce. Les participants du krinomen ont alors formulé deux avis opposés. Pour certains, ce jeu et cette mise en scène toujours dans l'excès et sans variation de niveau provoquent un malaise et très vite amènent les spectateurs à décrocher. Pour eux, ce dynamisme devient vite dérangeant car il ne laisse pas de temps pour digérer et assimiler les informations, ce qui provoque une certaine frustration. Mais pour d'autres au contraire, ce dynamisme est complètement cohérent avec le propos car le monde, la société vont trop vite pour Libellule et donc pour le public aussi. De plus, ce dynamisme est également pour eux une marque de générosité envers le public, et il est impossible de ressentir de la lassitude face à ce spectacle grâce aux nombreux événements qui se passent sur le plateau tout au long de la représentation. En tout cas, on peut dire que ce choix de vitesse dans l'enchaînement des événements et d'excès dans le jeu et la parole est une réelle prise de risque, et il n'est donc pas surprenant qu'Au pied du mur sans porte ne fasse pas l'unanimité.

 

Les animateurs de ce krinomen sont également revenus sur les réactions du public lors des représentations : en effet, beaucoup de spectateurs ont quitté la salle pendant le spectacle. Ceci peut s'expliquer par le fait qu'Au pied du mur sans porte est un spectacle expérimental, qui joue avec les limites, ce qui est assez inhabituel dans la programmation du TnBA.

 

 

Au pied du mur sans porte : un acte social et politique de notre époque ?

 

Pour certains, l'intérêt premier du spectacle n'était pas le message politique mais le ressenti brut, la corporalité et la puissance du langage. Le but était de faire réagir le public. Pour eux, le spectacle était peut-être trop déconstruit pour saisir correctement le message politique. Ce que l’on retient surtout de cette pièce, c’est son aspect poétique, celui du langage et de la scénographie. Cependant, pour d’autres, le propos politique était bien présent mais par bribes. Effectivement, il y a beaucoup de choses à voir, de multiples éléments, et le message politique est induit par certains de ces éléments. Cette pièce est perçue comme un constat critique de la situation sociale transmis par la poésie du texte et de la mise en scène.

 

Cette histoire est en effet celle d'un garçon qui ne communique pas comme les autres et qui souffre de son rejet par la société. Au pied du mur sans porte parle de l'exclusion de certaines personnes face à une société qui va bien trop vite pour les comprendre. Le langage est décortiqué et les articulations sont exagérées, ce qui traduit une position politique car on s'attaque ainsi aux codes du langage et on remet en cause nos modes de communication. L’engagement est également dans le corps et dans la générosité du jeu des comédiens. Il est politique puisqu’il s’agit de se détacher du jeu standardisé, que l'on retrouve quasiment tout le temps dans les spectacles programmés par certains théâtres comme le TnBA.

 

 

« Mais n'y a-t-il pas un risque de stigmatisation de la "jeunesse" des cités et ses difficultés sociales et culturelles ? », a-t-il été demandé. Premièrement, cette pièce, qui n'est ni dans le réalisme ni dans le larmoyant, possède un côté assez onirique qui permet de prendre du recul. Et c’est ce recul qui empêche la stigmatisation. Toutefois, certains ont pu se sentir forcés de « penser quelque chose », quelque chose de nécessairement positif. Comme si le personnage très attachant de Libellule ne permettait pas de porter de jugement négatif sur lui, ce qui a pu être un peu gênant pour certains spectateurs. Certains enfin n'ont pas saisi le rapport avec la banlieue et pensent que la pièce aurait pu tout aussi bien s'inscrire dans un autre contexte que celui des cités. Pour eux, l’élément de la banlieue n’était pas nécessaire au propos.

 

 

En conclusion, Au pied du mur sans porte est une pièce riche, que ce soit en termes de texte, de jeu, de lumière, d’espaces scénographiques ou de sens. On peut donc parler d’un spectacle pluriel. Cependant, l’histoire de Libellule reste centrale et selon son auteur, le spectacle est politique mais pas politisé.

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  • : Le blog du krinomen
  • : Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
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