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31 décembre 2012 1 31 /12 /décembre /2012 10:30


 

Spectacle présenté à la Salle Culturel du Galet de Pessac les 14 et 15 décembre

 


Cédric Andrieux :

Il est difficile de parler de Cédric Andrieux sans commencer à dévoiler le spectacle. Il commence la danse contemporaine à 12 ans, influencé par sa mère. A 16 ans, ilt entre au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Paris. Il s’y forme pendant 4 ans puis part pour les États-Unis avec la compagnie Jennifer Muller. A 20 ans, il intégre la prestigieuse Merce Cunningham Company avec laquelle il danse pensant 8 ans. Il la quitte en 2007 pour rejoindre le Ballet de l’Opéra National de Lyon et danser des créations de Trisha Brown, William Forsythe ou encore Jérôme Bel. C’est ici, avec The Show Must Go On qu’est née la collaboration avec ce dernier.

 

 

 © Cédric Andrieux 


Jérôme Bel : 

Formé au Centre Nationale de Danse Contemporaine d’Angers (CNDC), il débute en tant que danseur et s'initie très tôt la mise en scène auprès de Philippe Découflé, figure importante de la Nouvelle Danse française. Sa première création, Nom donné par l’auteur (1994), est une chorégraphie d’objet qui annonce déjà son penchant pour la non-danse ce qui lui a valu plus tard le surnom de « Pape de la non-danse ». Il acquiert rapidement une renommée internationale, allant du Mexique au Japon. A partir de 2004, Jérôme Bel conçoit plusieurs spectacles autobiographiques. Le premier concerne Véronique Doisneau, danseuse « sujet » de l’Opéra National de Paris.

 

 

Le spectacle : 


Cédric Andrieux était présenté dans le cadre du festival jeune public « Sur un Petit Nuage » organisé par Pessac en scène, dans sa version écourtée de 50 minutes (au lieu d’une heure vingt) dédiée aux enfants. Il est présenté comme un spectacle éducatif grâce auquel « la danse contemporaine n’aura plus de secrets pour [n]ous » à en croire la plaquette de présentation.

Mais la question se pose du genre et de la discipline du spectacle : est-ce de la danse, du théâtre, un témoignage par la parole et la danse, un documentaire, un peu tout ça à la fois ? Selon la description officielle il s'agit d'une conférence dansée alliant la parole à la danse sans pour autant théâtraliser la danse. En effet, on est loin ici de la « tanztheater » de Kurt Jooss ou de Pina Bausch. On est plutôt face à de la non-danse, c'est-à-dire une création intégrant à la chorégraphie d'autres arts, pour mettre finalement la danse un peu en retrait.


Tout commence, d’après Cédric Andrieux, par l’influence de sa mère qui l’a plongé très tôt dans le milieu de la danse contemporaine, l’emmenant voir des spectacles. Poussée par les valeurs révolutionnaires de 1968, elle pratique la danse contemporaine en amateur (moins élitiste, d’après elle, que la danse classique) et inculque à son fils les valeurs de la démocratisation de l’art. Il nous raconte après cela ses débuts en tant que danseur à l'âge de 12 ans et nous confie qu'on le qualifiait même de mauvais danseur.

 

Ensuite, c'est par le biais de l'évocation de sa chorégraphie de fin d'étude au CNSMD de Paris qu'il nous montre le premier extrait dansé : le solo Nuit Fragile de Philippe Tréhet, qui lui avait valu la premier prix du conservatoire, « à la surprise générale » précise-t-il. Il raconte ensuite avec humour les difficultés qu'il a pu connaître à New-York dans la petite compagnie de Jennifer Muller qu'il a intégrée en suivant Douglas, son premier amour. Puis c'est sans grande conviction qu'il intègre la Merce Cunningham Company dont il raconte de nombreuses anecdotes de ses huit années de travail, huit années durant lesquelles il a répété inlassablement tous les matins les mêmes mouvements et exercices qu'il montre en tant que deuxième passage dansé.

 


© PICA Portland Festival 2010/Wayne Bund  

 

Il a du subir également l'académique et la gaine, ce qui entraîne un premier changement de costume laissant la scène vide derrière lui. Travailler avec Merce Cunningham, c'est aussi constamment dépasser ses limites dans chaque mouvement pour exécuter des chorégraphies pensées par Cunningham et créées par un logiciel informatique. Ce fut pour lui un travail épuisant tant physiquement que mentalement, qu'il n'a pu apprécier qu'à partir du moment où il a pu prendre un certain recul émotionnel (notamment grâce à la rencontre de son deuxième grand amour). Il quitte finalement la compagnie dans un choix de recherche d'une libération du mouvement et intègre le ballet de l'Opéra de Lyon en 2007. C'est là-bas qu'il expérimente les chorégraphies de William Forsythe, de Jérôme Bel et de Trisha Brown. Le travail qu'il a fait avec cette dernière l'a profondément marqué par la fluidité et la simplicité des mouvements qu'il avait perdu avec Cunningham. C'est pour lui l'occasion de le montrer en exécutant un extrait de la pièce Newark. Il insiste en tant que danseur sur la grande différence entre les deux approches du mouvement. Il enchaîne ensuite en parlant de son travail avec Jérôme dans le spectacle The Show must go on qui, pour lui, s'inscrivait dans le prolongement du processus de libéralisation du mouvement. En effet, le spectacle intègre la non-danse de J. Bel, les danseurs étant libres de choisir leurs costumes parmi leurs vêtements de ville, ne dansant pas et se contentant de faire ce que le titre des chansons leur dit de faire. C'est ce qu'il nous montre en finissant son spectacle avec le titre Every breath you take  du groupe Police qu'il demande au régisseur de lui envoyer. Il regarde alors dans les yeux le public éclairé pendant les 4 minutes que dure la chanson. Le spectacle se termine (mais on se pose la question dans cette forme écourtée car la fin n'est pas bien définie) par un échange de questions/réponses entre le public et Cédric Andrieux.

 

 


« Ce qui m'intéresse principalement, c'est de mesurer le degré d'aliénation, ou d'émancipation de ces différentes esthétiques. Le danseur étant le premier cobaye de cette expérience dansée, le spectateur le second ! Donc : est-ce que cette danse que je regarde m'émancipe ou pas ? » (Jérôme Bel dans une interview donnée pour le dossier de presse du 38ème Festival d'Automne à Paris).


 

Les projets de Jérôme Bel sont orientés dans le but de substituer à la danse contemporaine la non-danse. L'histoire de la vie de Cédric Andrieux devient ici prétexte pour parler de l'évolution de la danse contemporaine. A travers l'exemple de parcours d'un danseur, il dévoile les coulisses de différents courants de danse contemporaine. Le spectateur est, quelque part, invité à observer par le « trou de la serrure » les répétitions et les préoccupations quotidiennes des danseurs. Ceci participe à la démystification de l'image de noblesse que véhiculent habituellement les interprètes contemporains. On s'aperçoit par de petites touches d'humour et d'auto-dérision que le travail quotidien d'un danseur peut également être lassant (l'approvisionnement du frigo devient, par exemple, une pensée plus que préoccupante). L'artiste ne nous apparaît plus comme transcendé mais au contraire comme un être humain soucieux aussi bien d'un perfectionnement continuel du mouvement que de la nécessité d'un salaire régulier, s'inscrivant donc les réalités matérielles quotidiennes.

 

Au cours du spectacle, Cédric Andrieux revient sur les valeurs démocratiques et non élitistes que lui avait transmis sa mère qu’il dit ne pas du tout avoir retrouvé lors de son apprentissage au CNSMD. En effet, la compétition entre les élèves les pousse à un certain élitisme, et à se prendre parfois trop au sérieux, en perdant de vue les raisons qui avaient pu les mener à la danse. De plus, il affirme que la danse contemporaine est devenue avec le temps, elle aussi, un art élitiste. Elle n’est plus aussi accessible, trop souvent abstraite, au spectateur qu’elle ne l’avait voulu à ses débuts. Elle le devient aussi pour les danseurs eux-mêmes, comme nous l’explique C. Andrieux lorsque qu’il revient sur sa formation avec Merce Cunningham. Les danseurs ne comprenaient pas ce qu'ils faisaient, ils exécutaient ce qu'un grand esprit leur disait de faire. Or, cela devient en soi problématique car on reproche souvent au mouvement post-moderniste de ne mettre en valeur que les chorégraphes. Maintenant que nous sommes face à un danseur qui s'exprime, il nous avoue qu'il n'aurait, comme ses partenaires, peut-être pas eu grand chose à répondre sur certains de leurs travaux d'un autre point de vue que celui technique. Mais dans ce face à face danseur/public, l'artiste ne semble pas se cacher de cela. Ces moments de « blanc » qu'il a pu connaître se retrouvent dans le spectacle, lorsqu'il quitte la scène pour un changement de costume. Il rompt alors avec les règles traditionnelles du théâtre ou de la danse. Jérôme Bel joue avec les règles tacites en effaçant, par exemple, le quatrième mur, en laissant la scène vide, en mettant la parole au cœur d'un spectacle annoncé comme étant de la danse mais ce détournement débute même avec le principe du projet : la parole au danseur.

 

 

La Scénographie : 

 

© Marco Caselli Nirmal

 


La scénographie est simple : un plateau vide couvert d'un tapis de danse noir et éclairé sur sa totalité de manière homogène par des projecteurs. Seuls deux éléments se rajoutent à cela par la suite, un sac de sport et une bouteille d'eau minérale que Cédric Andrieux dépose en arrivant à l'avant-scène jardin. Il n'y a pas de musique, sauf pour l'extrait du spectacle The Show must go on, pas d'effets de lumière. Le danseur, durant tout ses monologues se tient face au public, au milieu de l'avant-scène. Seule sa voix monocorde et son souffle accompagnent le public durant la représentation. Bien que le son de sa voix soit linéaire, des pointes d'humour, accentuées par un décalage avec la voix, permettent au public de rester en éveil et de suivre avec attention les évolutions de son récit. L'absence de musique peut aussi rappeler la manière dont il a pu travailler, à savoir en silence ou sans se soucier de la musique comme dans le travail avec Merce Cunningham. Lors des moments chorégraphiés, c'est sa respiration ou son marquage des temps qui constituent la bande sonore. Ce sont eux aussi qui établissent le lien entre le public et le danseur dans ses changements de costumes pendant lesquels il quitte l'espace scénique au profit des coulisses. Le public ne perçoit plus que les frottements de tissus, le micro que l'on bouge et toujours sa respiration. Ce sont d'ailleurs des moments qui semblent être des moments de détente pour le public car on s'assiste une montée des chuchotements qui cessent toutefois dès le retour de Cédric Andrieux sur scène. Le rapport établi n'est déjà plus un rapport de dominant/dominé, le public ose prendre sa place quand il le peut et ne se contente pas du silence.

 

Pour chaque extrait dansé, Cédric Andrieux se place tel qu'il le faisait au paravent lors des spectacles ou des entraînements qu'il a pu faire. Ainsi, c'est au fond à droite pour les extraits de Merce Cunningham (c'est la place qu'il occupait toujours dans le studio New-yorkais du chorégraphe) qu'il se place, c'est sur la ligne de fond qu'il danse ses souvenirs de Trisha Brown, c'est à l'avant-scène et à cour qu'il observe le public tel qu'il faisait dans son autre collaboration avec Jérôme Bel. Toutefois, ce ne sont pas de simples placements, de la même manière que ses souvenirs se déplacent, notre vision et notre imaginaire sont transportés aussi : nous nous voyons tour à tour être dans sa petite école de danse face à une professeur dubitative, dans le célèbre studio de Merce Cunningham rempli de ses danseurs, ou parmi le public de The Show Must Go on. La scénographie est peut-être simple mais le texte suffit à nous transporter autre part. Cette neutralité permet à notre esprit une plus grande liberté d'imagination. De plus, elle possède aussi une vertu apaisante, relaxante. Il n'y a que le nécessaire, rien de superflu car c'est véritablement l'opportunité de regarder « à travers le trou de la serrure » la vie d'un danseur que propose au public cette suite de conférence-dansée à laquelle appartient le spectacle Cédric Andrieux Son souffle nous rapproche de lui car il est révélateur de son effort physique et de sa position d'homme. Le spectateur n'est plus devant cette image du danseur transcendé mais bel et bien devant un homme qui s'offre sans apparents faux-semblants. Cette absence de musique permet une atmosphère de convivialité, une atmosphère d'autant plus flagrante lors de Every Breath You Take de Police. Les projecteurs, éclairant le public, le révèlent au danseur. Après une petite minute de gêne, on sent une certaine décontraction se propager, les sourires naissent et des signes de la main s'esquissent. Le quatrième mur disparaît, la salle est désormais incluse. Il y a échange concret entre le plateau et les spectateurs et c'est d'ailleurs sur cela que le spectacle se termine. A la fin de la chaîne de l'évolution de la danse, il y a une réunification des deux parties qui composent le spectacle : le public et les acteurs, qu'ils soient de l'ombre ou sur scène.

 

Grâce à cette scénographie épurée, cet échange qui se créé entre la salle et la scène est possible. Le jeu avec le quatrième mur permet de finalement se sentir peut-être plus impliqué dans le spectacle.

 

 

Pour aller plus loin : 

 

Après des spectacles comme The show must go on, la non-danse peut-elle alors être encore annoncée comme danse au public ? Le chorégraphe est-il encore chorégraphe ou se transforme-t-il en metteur en scène ?

Jérôme Bel affirme que la vie du danseur n'est qu'un prétexte pour aborder l'évolution de la danse. Pourtant les choix qui constituent son parcours ne contribuent-ils pas à établir une vision subjective de l'Histoire de la danse, constituant ainsi un paradoxe puisque l'Histoire est dite « objective » ?

 

 

Liens :  


Extrait du spectacle Cédric Andrieux :

 


 

 

Site officiel de Jérôme Bel : www.jeromebel.fr/ 

Interview avec Cédric Andrieux à Madrid : http://www.latitudefrance.org/Interview-Cedric-Andrieux 

Dossier de presse : http://www.festival-automne.com/Publish/evenement/313/DP09HommageMerceCunningham.pdf 


Extrait du spectacle Véronique Doisneau, premier spectacle de la série de conférences-dansées : 

 


 

 


Site officel de Merce Cunningham : http://www.mercecunningham.org/

Site officiel de Trisha Brown : http://www.trishabrowncompany.org/

 

 

Article rédigé par Anna Chabat

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