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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 06:56

 

Entretien avec Olivier Waibel, dramaturge et metteur en scène au sein du collectif Crypsum, représentant à la scène des textes non théâtraux.

 

Pour débuter l’entretien, pouvez vous présenter votre parcours, ainsi que la formation du collectif Crypsum ?


J’ai fait des études de lettres à Paris ainsi qu’une prépa littéraire hypokhâgne khâgne, pour devenir professeur. Parallèlement je faisais du théâtre au lycée pour m’amuser avec des amis. En suivant des cours en conservatoire, j’ai fini par passer des concours un peu malgré moi, et je me suis retrouvé à Toulouse au TnT où ils ont une formation de comédiens qui s’appelle l’Atelier Volant. Les deux directeurs du collectif, Alexandre Cardin et moi, venons de la même promotion, on ne s’est pas quittés. En fait on a fondé le collectif pour jouer les textes de Virginie Barreteau, qui était aussi dans la même promotion. On l’a fait une fois et ça s’est pas bien passé, alors on a récupéré le collectif, qui s’appelle Crypsum qui veut dire la glande du passage à l’acte. En tant que comédiens on voulait voir si on pouvait mener nos propres projets, on a ensuite créé des petites formes vers Toulouse.


Combien êtes-vous aujourd’hui dans le collectif ?


Au début, nous étions quatre anciens de l’Atelier Volant, il y a eu scission et on a récupéré Crypsum Alexandre et moi. Et aujourd’hui nous sommes trois avec Miren Lassus Olasagasti qui est comédienne. Pour les spectacles on fait appel à des comédiens d’ici, qui ne font pas forcément partie intégrante de Crypsum, mais qui reviennent souvent. Quand on a choisi le nom de collectif, et non de compagnie, ça n’était pas forcément pour parler de démocratie, mais plus d’élan collectif, de confiance partagée.


Y avait-il dès le départ l’idée d’adaptation de textes non théâtraux à la scène ?


Pour les premières formes, on avait plus l’idée d’inventer de nouvelles places au spectateur, on a alors joué dans des lieux un peu décalés comme des vestiaires de théâtre, mais ça partait de toute façon d’une matière littéraire. Nous sommes des comédiens,  pas des metteurs en scène, qu’est ce qu’on apporterait si on montait un énième Shakespeare ? Comme j’ai fait des études littéraires et que j’ai la passion des livres, j’amenais régulièrement de la matière et on s’est vite rendus compte que ce qui est génial avec un livre c’est la possibilité d’inventer son propre matériau et tout le spectacle en même temps. Puis on ne voulait pas qu’il y ait des personnages, par exemple pour Nos parents d’Hervé Guibert, il y a trois comédiens sur scène, alors que c’est l’histoire d’un seul homme qui raconte son histoire familiale, ils sont à la fois comédiens, narrateurs et régisseurs, autant le père, la mère que le narrateur. Tout se mélange, il n’y a pas d’incarnation à jouer. Notre idée est vraiment de profiter d’un cadre pour partager une écriture que l’on aime, l’adaptation nous permet aussi d’insérer de la vidéo dans les spectacles, réalisée par Alexandre. J’estime que le complément de l’adaptation littéraire c’est vraiment l’adaptation scénique avec la vidéo, ça se complète à merveille.

 

Qu’est ce que ça apporte au spectacle la combinaison de l’adaptation et de la vidéo ?


Hervé Guibert est un des premiers à avoir fait des journaux vidéos, et on s’est servi de ce lien pour Nos parents, le journal vidéo est un fil rouge dans le spectacle. Ca commence avec lui qui, pendant que le public s’installe, cherche dans son journal vidéo quelque chose, parce que tout part d’un secret de famille. La vidéo est présente tout du long, en direct principalement, beaucoup pour des notions d’espace et d’invention sur scène. Et puis ca permettait aussi tout un travail sur la photo qui est important, parce que Nos parents, ca parle d’une famille, et toutes les familles sont compliquées et folles, et on a pris ce fait comme universel. Donc les comédiens sont vraiment face à leurs photos de familles, face à leurs parents à devoir dire qu’ils les détestent, ce qui les engagent autrement sur scène. Alors que dans L’Homme qui tombe, notre seconde création, qui raconte le parcours d’un homme après le 11 septembre 2001 et ce que ça inclut, ce qui était compliqué c’était de faire l’économie des images du 11 septembre. On en a tous en tête mais les revoir c’est quand même très fort, donc on a beaucoup travaillé là dessus, sur comment les détourner, ne pas vraiment les montrer. Dans le roman, Don DeLillo  parle beaucoup des cendres qui tombent, donc on a travaillé sur ces images de cendres, qui donnent un reflet à la parole, une autre dimension au texte. Dans le texte il y a aussi l’omniprésence de la télévision, donc nous dans notre décor on avait mis deux télés qui diffusaient des publicités, parce que ça revient souvent, et ça crée du jeu. Par exemple, on a fait une scène où un personnage a l’impression de voir son mari à l’écran et dialogue avec lui, alors qu’il n’y est pas. Mais il n’y avait pas de vidéo en direct parce qu’il n’y avait pas le temps et que ça n’était pas légitime. C’est intéressant d’avoir à penser la vidéo, pour l’instant je trouve qu’on est assez malins avec, ça n’est pas illustratif, pour nous ça a du sens.


Vous faites la mise en scène des spectacles avec Alexandre Cardin, comment se déroule cette collaboration ?


On travaille en amont lui et moi. Je fais l’adaptation et la dramaturgie principalement, et il la complète. Ou bien nous écrivons la mise en scène très tôt.


Vous écrivez la mise en scène ?


Oui, comme dans l’adaptation je séquence, j’invente des scènes, chaque scène applique alors d’elle-même sa mise en scène. Le fait de séquencer le texte nous fait dire dans quel espace on l’imagine, est ce qu’il y a de la vidéo, comment les gens se croisent. Dans L’Homme qui tombe, tout le monde est présent sur le plateau quasiment tout le temps, même quand ils ne sont pas dans les scènes, ça se travaille beaucoup avant. Après ce qui est compliqué c’est qu’Alexandre  joue dans les spectacles, donc je me retrouve en face à devoir gérer la direction d’acteur, ce que j’arrive à faire mais qui n’est pas ce que je préfère. Et après on travaille à nouveau le soir ensemble. On fait comme ça pour l’instant, mais j’aimerai bien que les prochains spectacles, on change la manière de travailler, que je sois vraiment que sur l’adaptation, la dramaturgie, et la mise en scène en amont, et la direction d’acteur pour lui.


Ne pas être tout le temps le seul regard extérieur.


C’est ca. Ca serait plus simple, mais je trouve que c’est le meilleur comédien du monde, donc ça m’embêterait, mais en même temps c’est ca aussi le choix du collectif de pouvoir un peu changer les formes, les statuts et les rôles.


Pourquoi cette volonté de mettre en scène des textes non théâtraux ? Qu’est ce que ça apporte par rapport à une pièce de théâtre ?


Ca part de l’envie d’inventer notre propre matériau. Et puis je ne lis pas de théâtre, parce que je ne sais pas lire de théâtre, et je trouve que ça se ressemble pas mal en général, il y a peu d’invention formelle d’écriture théâtrale, un petit peu plus quand même aujourd’hui. Le roman a l’avantage d’être plus figé, et comme nous on a vraiment envie de s’approprier et que la construction nous ressemble c’est beaucoup plus cohérent. Et j’adore l’idée de partager un texte que j’aime, c’est tellement agréable de partager pendant une semaine Don DeLillo avec des gens qui ne l’ont jamais lu et qui ne le liront jamais, et de voir ce qu’ils en retirent.


Comment se fait le choix du texte ?


Je soumets des textes. Pour Hervé Guibert, c’est un texte que j’ai lu il y a très longtemps et qui m’avait fait rire, je me suis dit qu’on pourrait faire une lecture à plusieurs pour voir, on a tous tellement rit qu’on a décidé de le monter. Et on a travaillé L’Homme qui tombe parce qu’on voulait travailler sur un autre texte qui s’appelle Peste de Chuck Palahniuk, et on n’a pas eu les droits parce qu’il n’y a qu’Hollywood qui les a. Puisque le premier s’appelait Nos parents,  on s’est dit le deuxième va s’appeler Notre Amérique, et on n’a pas eu le droit. Il a fallu trouver un autre texte en quinze jours. L’Homme qui tombe je l’avais lu, j’avais adoré, j’ai remis le nez dedans en me disant qu’il était possible d’en faire quelque chose. Pour ce texte, on a beaucoup travaillé pour que ça reste proche de nous et très vivant. On voit toutes les coutures se faire sur scène, l’installation du décor en même temps qu’ils sont personnages.

Vous souhaitez travailler sur des thèmes en particulier ?

Non. On se connaît tellement dans le groupe qu’on sait à peu près quels sont les thèmes qui nous intéressent, même si ça n’est pas vraiment définissable. Mais je pense que le prochain spectacle sera adapté d’un Américain, ou d’une femme ca serait bien. Adapter une auteur j’aimerai bien, voilà on réfléchit plus de cette façon. On souhaiterait travailler sur un auteur que j’adore, Joyce Carol Oates, qui a été très connue pour le livre sur Marylin Monroe qui s’appelle Blonde, et qui est incroyable. Donc peut être ça.


Ce livre là ?


Non ça ne serait pas ce livre là. On aimerait bien aussi faire de l’adaptation, pas que de romans, par exemple de films ou de série, c’est un autre matériau. C’est l’enjeu, toujours trouver de nouveaux matériaux et de nouvelles raisons d’inventer, parce que si c’est juste pour pérenniser l’affaire ça n’a pas d’importance. On pourrait très bien arrêter et n’être que comédiens, il faut que ça relance quelque chose, que ça ne soit pas juste une entreprise qui roule et  qui enchaine les spectacles.


Pour revenir sur l’adaptation littéraire, est ce qu’il y a dans le choix des textes quelque chose qui appelle déjà à une représentation théâtrale ?


Pour l’instant je l’ai peu rencontré. C’est une matière tellement libre ça appelle surtout à de la liberté et à essayer d’en faire quelque chose. Ce qui me pose problème un peu au début, parce que j’aime tellement la langue des livres qu’on choisit que j’ai envie de la rendre telle quelle, et dans le travail du plateau, surtout avec les comédiens, tu es obligé de tricher, ou de réécrire beaucoup.


Hervé Guibert je connais peu, mais pour Don DeLillo,  avec une langue si particulière, ça doit être difficile, vous n’avez pas peur de dénaturer ?


Si, ça dure un petit temps, puis à un moment tu finis par comprendre, et tu n’’hésites plus. Je me permets de réécrire, enfin sans trop trahir, mais tu trahis aussi. Par exemple dans L’Homme qui tombe, on a recréé des personnages qui sont plusieurs personnages en fait, ça devient un peu des personnages globaux qui en recroisent plusieurs. Mais ça ce n’est pas le pire, c’est une trahison que finalement j’accepte. C’est horrible les premières fois que tu dois couper ou transformer un mot mais si c’est réussi sur scène ensuite, c’est bon.


Est-ce qu’il y a des passages que vous privilégiez dans l’adaptation, comme la description ou les dialogues par exemple ?


Je peux privilégier autant une description qu’un dialogue, je fais ma sauce.


C’est plus en fonction de ce qui se dit, des thèmes ?


Oui c’est ça. J’ai l’impression que pour que ça marche il faut très vite savoir combien de personnes il y a sur le plateau. Pour le premier, le trois s’est imposé parce que c’est une petite économie, et que je trouvais ça bien que ce soit un gars et deux filles. Et le deuxième on en a pris cinq parce qu’il y avait forcément un couple, l’amante brésilienne, et il fallait un autre couple, pour voir les différentes peurs qui animaient chacun, au sein du couple, entre les gens. Une fois que ce choix est fait ça va un peu plus vite. La je viens de retravailler sur Peste, il y a soixante dix personnages qui parlent, on essaye de voir comment une même parole peut en regrouper plusieurs, c’est intéressant à faire.


En plus d’enlever du texte, des mots de l’auteur, est ce qu’il n’y pas aussi le risque d’enlever certaines dimensions, du sens ?


Si. Mais ça aussi c’est un choix qu’on assume, le fait d’inventer totalement, et d’être libre, c’est aussi notre point de vue sur le texte et sur les thèmes. Par exemple, c’est la question du être ensemble qui m’a vraiment interrogé dans L’Homme qui tombe, mais qui est un peu amplifiée par rapport au livre, c’était notre point de vue sur qu’est ce que c’est théâtralement d’agir ensemble, et d’être ensemble dans la vie, comment on arrive maintenant à se positionner par rapport aux autres, à être dans un groupe. Mais le premier plaisir est de partager une langue, une histoire et un auteur, le point de vue pour moi est implicite dans la construction de l’ordre des séquences et toutes les influences de vidéo, d’images, de sons qui sont autour. Le public qui connaissait le roman, nous a dit que ça manquait d’un point de vue réel sur le roman, c’est une question que je n’ai pas résolue encore. Parce que pour nous, le point de vue est déjà induit dans la proposition de faire partager ce texte, les thèmes qui le parcourent. Pour Nos parents, tout le monde sait qu’Hervé Guibert  est mort du sida mais qui a lu ses livres ? Donc pour la plupart du public, rien qu’en partageant un auteur qu’ils ne connaissent pas et en avoir une nouvelle vision, ils sont plutôt contents. Et pour L’Homme qui tombe, il y avait beaucoup de gens qui ne connaissaient pas cet auteur. A propos des dimensions du texte, on sait en ayant choisi l’adaptation qu’on ne peut pas toutes les brasser.


Bien sûr. Et en fonction des sensibilités, on y voit tous des choses différentes.


C’est ça. L’idée dans l’adaptation c’est de traiter un roman mais ce qui nous passionne aussi c’est montrer comment on fait théâtre, avouer qu’il y ait de la vidéo en direct, avouer que les comédiens soient aussi techniciens. En fait le spectacle raconte autant l’histoire, enfin une partie de l’histoire du roman, que la façon dont on construit un spectacle. On privilégie aussi beaucoup cette dimension. Dans tous les cas, on adapte avec un tel amour du texte que je ne me sens pas très malhonnête. Tu ne peux pas traiter tout le texte, ou ça serait du théâtre de vingt quatre heures, il faudrait avoir de bons comédiens, mais ça risquerait d’être vraiment ennuyant, tout le monde n’est pas Olivier Py.


Heureusement. Vous travaillez principalement sur des écritures contemporaines, est ce que vous auriez la volonté un jour de monter quelque chose de plus classique, voire antique ?


Je pense que ce ne serait pas fédérateur pour tout le groupe. Il y a des choses intéressantes dans les textes classiques, mais il y a aussi un côté révélateur d’un texte ancien, en le mettant sous un jour nouveau, ce n’est pas forcément la démarche qui nous intéresse. L’important pour nous est vraiment de pouvoir se questionner ensemble sur des choses très actuelles, on ne peut pas faire de théâtre sans parler d’aujourd’hui, c’est un peu notre priorité. Donc on choisit plutôt des auteurs contemporains. Parce que parler d’aujourd’hui avec des textes classiques c’est possible mais je trouve ça un peu compliqué, et il y a un côté malin, en montrant comment on peut enlever la poussière d’un texte.


Pour finir, quels sont vos futurs projets ?


Il y a déjà Les livres vivants qui viennent de se faire de Frédéric Maragnani. En fait il voulait que  Alexandre, Miren et moi soient comédiens, je lui ai dit que si c’était pour adapter des livres je préférai travailler l’adaptation avec lui. J’ai donc fait ça sur cinq livres, et c’était absolument passionnant, et ça va se reprendre. Comme il est directeur de la Manufacture Atlantique maintenant, il veut avec le collectif créer un compagnonnage sur un ou trois ans, ce qui voudrait dire qu’on doit répondre à des commandes et en même temps pouvoir jouer nos spectacles là bas. Donc on essaye d’y reprendre Nos Parents, pour L’Homme qui tombe c’est compliqué, il nous faut un peu de sous. Et tous les trimestres il va y avoir un thème et il veut qu’on organise des banquets le dimanche, c'est-à-dire organiser un repas avec le public où on présente aussi un spectacle, enfin plutôt une adaptation littéraire qui se jouera qu’une fois. En mars il va y avoir le festival Cinémarges à Bordeaux, et il veut qu’on fasse un banquet, qui serait donc lié au thème de l’identité. En juin il y en aurait un autre sur le thème du soin, si on trouve un texte sur le pansement on fonce. Donc on a ces commandes là, mais comme on a créé deux spectacles très rapidement maintenant on prend le temps  de bosser à la diffusion parce qu’on se rend compte que vivre en région c’est quand même un peu compliqué. Donc on est très occupé par ça, on prend beaucoup de rendez vous, ce qu’on a jamais fait parce que pour l’instant on fonctionnait par dossiers, et la on se dit qu’on est assez murs, pour aller au devant des gens et leur expliquer notre démarche. On se rend compte qu’on grandit et c’est bien, parce qu’au départ ce n’était pas gagné. On grandit avec plein d’autres collectifs avec qui on est d’une même génération de compagnies, c’est bien on n’est pas tous seuls. On voit comment on fonctionne les uns les autres, on est plein à inventer notre propre matériau, on invente tous.

 

Entretien réalisé le 7 décembre 2012 par Flora Vernaton.

 

 

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commentaires

S
thanks for the write up as it made me to have a deeper knowledge regarding the artists and the evolution of the history. In fact it has a broader perspective regarding the whole subjects. It made me to re think regarding the same.
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