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9 novembre 2012 5 09 /11 /novembre /2012 17:30

 

Présenté au TNBA du 9 au 20 octobre 2012

 

 

Emmigrant TNBA

 

©TNBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine


Nadia Fabrizio est une comédienne qui dévoile ses qualités de chanteuse et ses talents d'auteur et metteur en scène dans Emigrant. D’origine suisse italienne, elle obtient en 1986 le diplôme d’art dramatique du conservatoire de Lausanne et détient deux premiers prix d’art dramatique, dont celui du concours de sortie. Elle intervient fréquemment à l’École Supérieure de Théâtre de Bordeaux en Aquitaine (Estba). Depuis 1988, elle collabore régulièrement avec Dominique Pitoiset (metteur en scène et directeur du théâtre National de Bordeaux depuis 2004), dont elle est l’actrice fétiche comme le démontre bon nombre de ses mises en scène dans lesquelles elle interprète les rôles principaux : Le pélican de Stringberg, Le Misanthrope de Molière, Othello et la Tempête de Shakespeare ou encore ladispute de Marivaux.

Emigrant,c’est le récit personnel d’une femme, petite fille d’immigrés italiens issus de La Carnia, région du Frioul, au nord de Venise à la recherche de ses racines. Elle n’a pas connu l’émigration, mais porte en elle cet héritage, qu’elle partage dans ce spectacle d’une heure et dix minutes, comme un besoin, par hommage.

Le spectacle débute dans le noir et nous plonge dans un univers très intime. En fond sonore, on entend un train qui passe, un bruit de cloche, un chant. C'est sa grand-mère, c'est l’église du village des grands-parents de l'auteur.

« J'ai l'impression d'avoir passé ma vie avec des valises » paroles de « la Mama », la grand- mère.

Parfois, les doigts de Nadia Fabrizio tremblent, elle serre les poings, nous surprend en enlevant brutalement son châle, danse en regardant les musiciens, baisse le regard. Chacun de ses gestes du quotidiens sont remplis d'une grande honnêteté. Entre chants passionnés et récits animés, elle transporte le spectateur dans son histoire, celle de ses origines, l’histoire d’un peuple.

« J’appartiens à cette grande nation de ceux et celles qui cherchent leurs racines. Pas même enlevée, arrachée à des souvenirs ou une vie, pas même émigrée moi-même, et pourtant en miettes, avec pour héritage, de la mélancolie, de la rage et des chants ». Nadia Fabrizio

Sur scène, elle est accompagnée de sa sœur, Katia Fabrizio Cuénot qui chante avec elle les textes de Giorgio Ferigo, du guitariste Flamenco Philippe Vranckx et du contrebassiste Christophe Jodet.

C’est à l’âge de 18 ans que Nadia Fabriozio et sa sœur découvrent le Povolâr Ensemble, un ensemble musical inspiré et cofondé par Giorgio Ferigo : « cet ensemble musical mène une recherche poétique et musicale sur les déchirures, les moralités, les contradictions et les rêves d’une petite communauté frioulane, la Carnia : 40 000 habitants et …40000 émigrés […] L’entreprise du Povolâr Ensemble est exemplaire : c’est une façon originale de se réapproprier son passé et ses racines, pour comprendre son présent, en luttant contre les oublis […] ».

Nadia Fabrizio et ses musiciens se sont emparés de cette musique, apportant leurs arrangements, leur touche personnelle, un nouveau souffle. Les chants dans la langue préservée du bout de l’Italie ponctuent le récit. Ils sont partie intégrante de l’Histoire, aussi bien de l’histoire de cette région du nord de l’Italie que de l’histoire que nous livre Nadia Fabrizio. Ils subliment la parole, expriment les sentiments avec beaucoup d’intensité et de passion. Textes et chants sont mêlés, et apparaissent indissociables. Cette juxtaposition équilibrée rythme le spectacle, permet de faire voyager le spectateur, entre formes théâtrale et musicale, entre mélancolie, rage, joie et amour.

La Pluridisciplinarité d’Emigrant, pose la question de la classification est-ce plutôt une pièce de théâtre parsemée de chants ou un concert parsemé de moments théâtraux ?

Nadia Fabrizio interprète son propre rôle avec beaucoup d’authenticité, de force, de caractère et de sensibilité à l’aide d’une langue rugueuse et râpeuse qui est celle de sa grand-mère paternelle (issue du dialecte du nord de l’Italie). La mise en scène est d’ailleurs très sobre, épurée, et intime. On ressent cette intimité entre les musiciens et Nadia Fabrizio sur scène, ils sont proches, en arc de cercle et laissent parfois voir des regards et des sourires complices.

Nadia Fabrizio et ses musiciens ne se déplacent pas sur scène ou très peu, chacun est à sa place et y reste tout au long du spectacle, pas de migration dans l’espace scénique, il ne s’agit pas d’un voyage du corps, mais des sens et de l’esprit, expliquant le parti-pris minimaliste des mouvements et des décors. Sur scène, on compte quatre chaises en bois, deux micros sur pieds et un tapis qui délimite la scène. Ce dernier renvoie aux carreaux de la cuisine de la maison de ses grands-parents. Cela nous donne l'impression qu'il ne reste plus que le carrelage de la maison, il n'y a plus de mur, plus rien autour.

« C'est triste une maison à volets clos. Et quand il s'agit de tout un village... […] J'étais adolescente, j'étais chacune de ses maisons détruites, mais j'étais prête à recommencer. » Texte extrait du spectacle, par Nadia Fabrizio.

Il y a du noir pour les costumes, une disposition scénique frontale, favorisant les échanges avec le public. Une sobriété maximale au service du jeu expressif du visage, donnant toute liberté au spectateur de se créer son propre voyage.

Emigrantoffre des sensations intenses et multiples qui résonnent en nous. Dès le début du spectacle elle proclame avec une grande ferveur : « toujours étrangère, jamais bien nulle part. » Le temps du spectacle, on a la sensation d'être nous-même emigrant (émigré). D'ailleurs, ne pourrait-on pas dire que nous le sommes tous à notre manière ? N'a-t-on jamais ressenti le manque d'un être cher qui serait éloigné de nous, la nostalgie d'un paysage, le besoin de revenir « aux sources », là où notre famille est née, là où l'on se sent bien, en sûreté? Chacun a ses raisons de se sentir émigré ! On l'oublie trop souvent, certains même refusent de l'admettre. Nadia Fabrizio par le biais d'une histoire très personnelle, ne parle t'elle pas d'un sujet universelle ?

 


Une photo de la famille de Nadia Fabrizio :

 

Famille-Nadia-Fabrizio.jpg

© ''Enrica Della Pietra « Da Sina », Mario Fabrizio « Dal Dat », et leurs enfants, Giovanni Battista, notre père, Nives, Mirella et Rodolfo, en 1956 à Couvet en Suisse. '' Nadia Fabrizio.

 


A la fin du spectacle, lors d'un échange avec le public, l'auteur nous confie que cela faisait des années qu'elle rêvait de faire ce spectacle. Elle espère un jour jouer son spectacle « au pays », la Carnia. Il est vital pour elle d'y retourner chaque année.

 

Paroles et traduction du premier chant joué lors du spectacleEmigrant :

 

 

Il timp das radîs

 

Il Timp al era il Timp dai baraçs [bis]

i mi soi scuviert fuea ai tiei ramaçs

Timp dai baraçs

tu mi sês Nort

 

Il Timp al era il timp dai sclopons [bis]

peraulas solfadas tal segrêt dai cjantons

Timp dai sclopons

tu mi sês Nort

 

Il Timp al era il timp dal muiart [bis]

il Dean i ai passât par cjatâti

Timp dai muiart

tu mi sês Nort

 

Il Timp al era il timp das radîs [bis]

amôr malnudrît, fadia di essi vîfs

Timp das radîs

tu mi sês Nort

 

Il Timp al era il timp da giuligna [bis]

peràulas fruidas, bussadas glaçadas

Timp das radîs

tu mi sês Nort

 

E alora i lu vent par un franc [bis]

 

il gno cûr di banda che cumo al buta sanc

du sang

i lu ent par un franc

nol à plui il Nort

[bis]

 

 

Le temps des racines 

 

Le temps était le temps des ronces [bis]

je me suis découvert feuille à tes branches

Temps des ronces

tu es mon Nord

 

Le temps était le Temps des pissenlits [bis]

paroles susurées dans le secret des alcôves

Temps des pissenlits

tu es mon Nord

 

Le temps était le Temps des foins [bis]

J'ai traversé le Degano* pour te rejoindre

Temps des foins

tu es mon Nord

 

Le temps était le Temps des racines [bis]

amour mal nourri, fatigue d'être en vie

Temps des racines

tu es mon Nord

 

Le temps était le Temps du givre [bis]

paroles usées, baisers glacés

Temps du givre

tu es mon Nord

 

Et alors je le vends pour un franc [bis]

 

Mon cœur de fer-blanc qui maintenant vomit

je le vends pour un franc

il n'y a plus de Nord

[bis]

 

 

Liens :


Véronique Hotte, interview de Nadia Fabrizio sur Emigrant,journal culturel « la terrasse » : http://www.journal-laterrasse.fr/focus/nadia-fabrizio-la-quete-inlassable-des-racines

Extrait de Emigrant : http://www.youtube.com/watch?v=Y1HKck106l0

il timp das radîs, de l’ensemble Povolâr : http://www.youtube.com/watch?v=Ih1a7Xg3uh8

 

Pour aller plus loin :

Comment ce spectacle autobiographique dépasse-t-il le récit pour impliquer le spectateur dans ce qui se joue ?

Comment le "va-et-vient entre l'ici et l'ailleurs, le passé et le présent", pour reprendre les termes de Nadia Fabrizio dans sa note d'intention, se concrétise-t-il en jeu ?

 

Article réalisé par Alice Dufour et Elsa Mourlam

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