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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 12:15


Marc, vous êtes comédien professionnel et professeur de théâtre, est-ce que vous pourriez nous retracer votre parcours ?

C’est compliqué. J’ai commencé par aller à Paris en 1970, après mon bac, pour faire des études d’architecture, ce qui ne m’amenait pas du tout à ça. Et puis parallèlement, suite à un voyage en Afrique, pendant les deux années suivantes à Paris, j’ai fais de la danse et des percussions africaines. A l’époque il n’y avait que deux cours de danse africaine en France, à Paris uniquement. Et des djembés il n’y en avait que trois en France. Il y en avait peut-être quelques uns qui servaient de bar chez d’anciens colons mais en état de marche il y en avait trois. J’ai du attendre de retourner en Afrique en 1973 pour en avoir un.

Et puis en 1972, je me suis donné une année sabbatique dans mes études d’architecture et c’est à ce moment là que la musique et la danse ont pris le dessus. Très vite je n’ai plus fais que ça. J’avais fais de la musique enfant et ado, j’avais fait une douzaine d’instruments et puis c’est par la musique africaine que c’est revenu. Très vite ça à marché parce que c’était très nouveau un joueur de percussions africaines. Donc je jouais un peu partout et ça surprenait tout le monde. Ce qui fait que j’ai été intermittent dès 1973.

Ensuite fin 1973, j’ai passé une audition pour entrer comme musicien chez Peter Brook, qui faisait un spectacle pour enfant sur un conte de Grimm. C’était juste ponctuel, un contrat de trois semaines. J’ai été pris, on a fait cette pièce qui s’est très bien passée, puis début 1974 suite à une histoire compliquée, Brook s’est retrouvé avec la moitié de ses comédiens de Timon d’Athènes sous contrat qui ne jouaient pas pendant une période de presque 6mois (pendant une nouvelle création, Les Iks). Du coup, durant ces six mois, Brook a organisé des ateliers.

 

C’était Brook lui-même qui animait ces ateliers ?

Oui en partie, mais aussi avec Yutaka Wada qui était son assistant et quelques comédiens plus anciens de la compagnie. On était parfois tous ensemble avec les comédiens de la création en cour et parfois juste le groupe qui ne jouait pas. En faite si je dis « on » c’est parce que suite aux trois semaines que j’ai passé sur la création autour de Grimm, Brook m’a demandé d’animer un atelier sur la relation musique/mouvement. Dans le cadre d’un atelier de deux heures par semaine. Sur le rapport musique/mouvement parce que dans la danse africaine c’est un rapport particulier et très intéressant, notamment dans la partie improvisée. Comme peu de gens connaissait ça, ça l’intéressait. Donc je me suis retrouvé à animer un atelier pour la compagnie de Brook à 21 ans. Du coup j’ai accepté en disant que ce qui me plairait ça serait aussi de pouvoir suivre en même temps la semaine de travail dans les autres ateliers. Je n’avais pas de travail, je venais de finir un projet et c’était possible pour moi de me libérer toute la journée. C’est comme ça que pendant six mois, j’ai suivi les ateliers de la compagnie.

Puis lorsqu’il y a eu la reprise de Timon d’Athènes, Peter Brook m’a proposé de jouer dedans en tant que comédien aussi puisque j’avais suivi tout le travail. C’est comme ça que j’ai commencé, c’est quasiment ma première entrée dans le théâtre en tant que comédien.

C’était important de raconter ce point de départ. Après, j’ai essayé de mener les deux de front, musique et théâtre, avec des périodes plus chargée en l’un ou l’autre, mais souvent j’étais engagé comme comédien-musicien. Puis j’ai eu des périodes où je n’ai presque plus fait de théâtre, comme la période où j’étais dans la compagnie Lubat (ndlr : compagnie de Bernard Lubat). C’était un groupe qui tournait énormément donc je ne faisais pas de théâtre. J’ai continué à faire un peu des deux et quand je suis arrivé à Bordeaux en 1989, j’ai assez vite été directeur de l’Orchestre régional de jazz. Entre temps j’avais travaillé l’harmonie pour composer, quand je me suis aperçu que je serais jamais africain (rire). Après une dizaine d’année de percussions africaine, je me suis dit qu’il fallait que je fasse aussi autre chose et donc ça faisait déjà un moment que je composais. Sur Bordeaux, de 1989 à 1995, je n’ai pas fais de théâtre du tout, j’étais uniquement musicien.

Ensuite j’ai repris le théâtre avec la compagnie Le Grain et de fil en aiguille le théâtre a repris plus de place que la musique. L’Orchestre régional de jazz a fini par s’arrêter faute de moyens ce qui a laissé place au théâtre. Aujourd’hui et depuis un peu plus de 10ans, je fais du théâtre quasiment à 90 pourcent de mon temps. Je compose encore des musiques, des chansons, parfois pour les pièces dans lesquelles je joue, mais je suis essentiellement comédien.

Voilà à peu près mon parcours. Au niveau formation initiale, il n’y avait uniquement que ces  six mois chez Brook, après j’avais fait un stage de quelques mois chez Lecoq à la fin des années 70, début des années 80. Mais c’est tout ce que j’ai eu niveau formation, le reste c’est sur le tas, sur le plateau avec différent metteurs en scène. J’ai eu la chance d’avoir souvent des metteurs en scène qui étaient bons directeurs d’acteurs donc ça m’a aidé. Puis pendant mes dix premières années à Bordeaux j’enseignais plutôt la musique et maintenant ça fait presque dix ans que j’enseigne le théâtre à la fac.

 

Justement qu’est-ce qui vous a poussé vers l’enseignement ?

J’ai toujours eu le goût de transmettre. Pour le djembé j’ai attendu très longtemps. J’ai réellement commencé à Bordeaux, avant j’avais parfois un élève qui me suivait pendant les stages de danse. Mais j’ai enseigné la danse avant, parce que je n’ai pu enseigner cet instrument que lorsque j’ai pu faire ma propre musique et par là avoir l’impression d’avoir quelque chose de spécifique à transmettre.

Pour le théâtre, ça vient aussi du côté atypique de mon parcours. La sensation que j’avais peut-être quelque chose à transmettre qui soit un petit peu différent de ce qu’on transmet en général.

 

 

Est-ce que c’est la fac qui s’est adressé à vous ou bien avez-vous fait vous-même la démarche ?

C’est la fac. C’est Jean-Yves Coquelin (ndlr : directeur, à l’époque de la section Théâtre à l’université Bordeaux III) qui m’a contacté.

En faite je m’y suis tout de suite senti bien parce que ce qui m’intéresse à la fac c’est que, même si la part de pratique, domaine dans lequel j’interviens, est assez réduite dans l’enseignement, (avant avec le DEUST c’était un peu plus important), il y a un gros avantage, c’est qu’il y a une réflexion sur le théâtre qui est plus large que simplement le plateau, le jeu. Ca m’intéresse de m’inscrire dans une formation comme celle-ci. Je ne serais pas mécontent d’enseigner au conservatoire (rire), mais à la fac j’ai des satisfactions particulières. Le fait d’avoir des gens qui sont assez divers, qui sont souvent très ouverts sur d‘autres chose que simplement briller sur le plateau.

 

Est-ce que vous enseignez uniquement à l’université ou avez-vous des cours avec des jeunes, des enfants ou des adultes ? Quel public préférez-vous ?

Non je n’ai aucun cours ailleurs. Je n’aime pas du tout faire de cours réguliers. Je préfère de loin enseigner sous forme de stages. Pour mes cours à la fac je me débrouille toujours pour que ça soit plutôt en stage que sous forme de cours hebdomadaires.

Ensuite je dois dire que j’ai très peu travaillé avec les enfants. Par contre je ne fais pas de différence entre les jeunes adultes, les plus mûres, voire même les plus âgés. Il n’y a pas de différence à partir du moment où les gens savent pourquoi ils sont là. De là on peut avoir une relation d’égal à égal. C’est du moins ce que j’essaie d’instaurer dans mes cours et c’est ce qui m’est un peu plus difficile dans la relation avec les enfants. Je trouve qu’il y a trop de différences de position.

 

Vous avez à ce jour une actualité, vous jouez régulièrement. Comment arrivez-vous à concilier votre vie de comédien professionnel et votre vie d’enseignant ?

En réalité cette année ça a été compliqué. C'est-à-dire que ces dernières années je donnais un stage pour chacune des trois années de licences et cette année je n’ai pas pu. Ceci parce que j’étais entièrement pris tout le premier semestre, ce qui fait que je n’ai pu donner de stage qu’aux élèves de première année. Donc ça prouve que la conciliation ne marche pas toujours. C’est aussi ce qui fait que je préfère travailler sous forme de stage, parce que c’est bien sûr plus facile à placer dans mon emploi du temps. Par exemple cette année je n’aurais pas pu enseigner du tout si ça avait était une heure par semaine. C’est très compliqué de trouver trois mois où je puisse venir toutes les semaines.

 

Donc vous privilégiez tout de même votre vie d’artiste ?

Oui, oui oui, sans aucun doute. Toujours. Je l’ai toujours fait. Et j’ai l’impression de n’avoir quelque chose à dire en tant qu’enseignant que parce que je continue à me nourrir de la scène. Je suis dans une attitude d’élève moi aussi. Chaque fois que je suis dans une nouvelle création j’estime que j’ai quelque chose à apprendre, donc je ne perds pas le contact. Ca revient à ce que je disais sur le fait d’être dans un rapport d’égal à égal avec mes élèves, c’est que moi aussi je me sens toujours en cours de formation.

 

Si aujourd’hui je vous demande si vous vous sentez plus professeur ou comédien, que me diriez-vous ?

Comédien. Il n’y a pas d’hésitations. Je ne peux me sentir de légitimité comme prof que parce que je suis avant tout comédien. Ce qui ne veut pas dire que les profs qui ne sont que prof sont moins légitimes, c’est tout à fait personnel.

 

Et comment faites-vous pour organier votre travail ?

Pour ce qui est de la fac, je donne mes disponibilités et on s’arrange pour caser les cours dans mes temps creux. Après, une fois qu’ils sont placés, je m’arrange pour ne pas avoir de dates qui tombent dessus. Pour cela je communique aussi mes dates de stages à la fac aux compagnies avec lesquelles je travaille en disant qu’à ces moments là je ne suis pas libre.

Mais en général en début d’année j’ai mon planning de comédien qui est en place, parce que les spectacles se vendent et se programment plus d’un an à l’avance, donc je connais mes disponibilités quand les emplois du temps de la fac se font.

 

Et si on parlait un petit peu association et compagnie.

Alors moi je n’ai pas vraiment de compagnie. J’ai une association qui pour le moment est en stand by, qui a servi de structure porteuse pour quelques projets que j’ai mené, mais je n’ai pas envie d’avoir de compagnie régulière. Je n’ai pas envie parce que j’aime trop le plateau pour ça. Je vois que pratiquement tous les copains qui ont fait des compagnies ne sont quasiment plus au plateau. Entre l’administration, le montage des projets et la mise en scène, ils ne sont pratiquement plus sur scène. En plus ils ne travaillent que sur leurs projets. Très peu arrivent à mener les deux de front. Tiberghien, un peu, qui arrive de temps en temps à jouer dans les projets des copains, mais c’est très rare. La plupart des directeurs de compagnie sont complètement enfermés dans leur propre compagnie et moi je n’ai pas envie de ça, je veux rencontrer des gens.

Alors oui, ça me démange souvent de monter des projets, de réaliser ce que j’ai dans la tête. J’écris et il y a des moments où j’aimerais monter ce que j’écris.

 

Et pourquoi ne pas créer un nouveau genre d’association, une forme plus libre, où vous ne seriez pas au centre, mais une structure créée à plusieurs pour plus de liberté ?

Un moment j’ai essayé de convaincre des amis parce que j’avais pensé à une sorte d’association avec un comité de pilotage qui serait plus ou moins dépendant de l’OARA (ndlr : Office Artistique de la Région Aquitaine), avec des comédiens et des metteurs en scène et qui serait la structure porteuse de deux ou trois projets par an. Chaque personne qui voudrait monter un spectacle ne serait pas forcément obligé de créer une compagnie et donc de créer une infrastructure.

Mais j’ai l’impression qu’on est un peu coincé actuellement dans le système. Pour monter un spectacle on est obligé d’avoir une compagnie, pour toucher des subventions, alors qu’actuellement les subventions ne sont données qu’à des compagnies repérées.

J’aimerais pouvoir faire une pièce tous les deux ou trois ans, avoir le temps d’y penser. Même peut-être passer cinq ans sans projet puis en monter un. J’aimerais ça et je suis sûr qu’il y a plein de directeur de compagnie qui aimeraient ça aussi. Mais une fois que tu as une compagnie si tu veux qu’elle survive, tu es obligé d’avoir une administration et de la faire vivre, d’assurer les subventions tous les ans.

J’ai l’impression que pour que ça marche il faudrait une asso directement reliée, soit au conseil général, soit à l’OARA, avec un comité de pilotage. Je pense qu’une asso indépendante, regroupant quelques comédiens qui ont envie de monter des choses n’aura aucune chance d’avoir de subventions.

 

Si quelqu’un se présentait à vous en vous disant : « Je veux faire comme vous, je veux être comédien et je veux aussi avoir une indépendance en tant que professeur. » Quels conseils lui donneriez-vous ?

En faite, il faut aussi avouer que ce qui fait que ça marche ou pas c’est le bol. Il y a quand même une grande partie de chance. Dans cette question, le plus important c’est avant tout d’arriver à devenir comédien (rire). C’est d’une certaine façon plus facile d’arriver à être prof. C'est-à-dire que tu peux toujours ouvrir un cours de théâtre et puis ça marche plus ou moins bien, tu peux toujours trouver des ateliers. Mais arriver à être comédien, c’est déjà plus mystérieux. Quand tu démarre, s’il y a un truc essentiel, c’est d’être très ouvert, d’aller beaucoup voir les gens. On ne peut pas attendre que les gens s’intéresse à toi si toi tu t’intéresse pas à eux.

Dans les metteurs en scène locaux par exemple, si tu as vu tous leurs spectacles depuis dix ans quand tu parle avec eux c’est autre chose et je pense que les metteurs en scène sont aussi sensibles à ça. Ils ont besoin qu’on s’intéresse à eux autant que nous avons besoin qu’ils s’intéressent à nous.

Effectivement, surtout dans un milieu relativement restreint comme en province, à Paris ça ne se passe pas pareil, c’est plus difficile de rencontrer les gens. Mais ici dans un petit milieu, si tu vas à tous les spectacles des gens du coin, tu fais leur connaissance forcément. Puis au bout de plusieurs fois que tu les rencontre tu peux leur dire « je joue à tel endroit », ils peuvent venir te voir et comme ça tu commence à exister. J’ai l’impression que c’est le seul moyen. Ca ne veut pas dire faire du lèche botte partout mais c’est simplement sincère, si tu es ouvert aux autres ils vont aussi s’ouvrir à toi. C’est aussi bête que ça.

Merci beaucoup Marc d’avoir répondu aussi simplement à nos questions, en vous souhaitant une bonne continuation.


 

Entretien tenu par Ludivine Bacquet le 11 mars 2011 à Saint Loubès (Gironde), relu et amendé  par Marc Depond.

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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 11:07

 

 

Entre vide extérieur et vie intérieure


 

Une fois dans la salle de spectacle, une atmosphère étrange s'empare de nous. Comme si toute la dimension intime de World of interiors nous guettait dans sa pénombre. Pénombre rimant avec étrangeté de par sa singularité : sujet à la déambulation un plateau nu avec pour uniques éléments scénographiques, une quinzaine de corps humains étendus sur le dos, ici et là, à même le sol, occupant tout l'espace scénique. Un silence implacable. Une lumière tamisée qui berce les comédiens enfermés dans leur mutisme jusqu'à ce que ce dernier se brise : des voix à peine audibles s'échappent lentement de ces corps inertes. Le ton est donné.

 

D'abord curieux, l'on sillonne à notre guise parmi ces hommes, ces femmes, tous silencieux, plus ou moins jeunes, ayant entre 18 et 45 ans, habillés à la mode de nos jours. Observant leur corps immobile, posé sur la moquette noire se découpant dans la lumière, une question nous vient quand au déroulement du spectacle, « que va t-il se passer ? » à la vue de cette scénographie insolite.

Mais rapidement, cette interrogation disparaît à la minute où ces corps endormis prennent partiellement vie. A l'unisson, ils émettent des chuchotements créant un bruit de fond excitant notre curiosité. Alors on s’accroupit près de l'un d'eux, fixant ses yeux clos, écoutant les paroles qu'il murmure indépendamment des autres, comme s'il nous confiait un secret. Des textes de Rodrigo Garcia, récités, racontés, chuchotés en boucle par des voix différentes. Pas une voix plus haute que l'autre, pas de cri, juste une linéarité sonore à effet apaisant.

 

Petit à petit, la scène se vide des spectateurs les plus impatients, réduisant le nombre d'intéressés qu'à une poignée ce qui favorise la communication presque spirituelle entre les comédiens et nous. On s'assied pour finalement s'allonger au plus près d'eux, comme si une confiance s'instaurait par cette écoute privée. Se laissant bercer par la douceur de leurs chuchotements, fermant les yeux à notre tour, l'on savoure le plaisir à être sur scène, devenant acteur par notre présence et notre écoute, oubliant au fil des heures notre statut de spectateur. Certains resteront près de leur comédien de départ jusqu'à la fin sans chercher à aller écouter ce qui se dit à coté, d'autres au contraire navigueront entre les uns et les autres.

 

Un étroit rapport se creuse au fil des heures, on a l'impression de les connaître depuis toujours. Cette communication singulière est rendue plus forte par un échange intime, peu commun au théâtre, entre un parler et une écoute. Jusqu'à ce que vienne le moment de leur réveil, nous à leur coté, regrettant leur levé, un peu précipité pour certains, brisant le rêve et nous ramenant aussitôt dans la vie réelle. A regret. Les lumières se rallument. Oubliant d'applaudir, l'on échange quelques regards avec ces visages soudainement inconnus, quittant un par un le plateau. Retrouvant brutalement notre statut inactif de spectateur, l'on regagne la sortie, troublés, certains même chamboulés par cette expérience humaine insolite et inattendue. Malgré une fin un peu précipitée, elle mérite tout de même d'être vécue surtout pour les amateurs de théâtre novateur.

 

Un théâtre qui casse les codes classiques, par une scénographie nue, des comédiens qui ne sont pas dans le jeu mais plus dans la performance : en effet, l'objectif de ces derniers n'est pas de développer une extraordinaire prestation d'acteur susceptible de créer du spectacle mais plus d'embarquer le spectateur uniquement à l'aide de sa voix et de son corps immobile, dans une expérience où les ressentis intérieurs émotionnels sont davantage réquisitionnés que les réactions externes de l'ordre du visible comme le rire ou les larmes. C'est en cela que l'on peut parler de performers au lieu de comédiens et d'expérience au lieu de spectacle.

 

Enfin des spectateurs qui ne sont plus passifs mais qui agissent, prenant part entière au spectacle, contribuent largement à cette idée d'expérience. La place du spectateur est directement remise en question : pourquoi ne pas aller vers un théâtre alliant performers et public sur un même plateau, prêtant à voir et surtout à vivre de nouvelles expériences pour chacun d'eux, comme dans World of interiors ? Que l'on aime ou que l'on déteste, que l'on trouve ça génial ou ennuyant, il n'en reste pas moins un exemple de théâtre contemporain donnant à voir un nouveau rapport entre l'acteur et le spectateur, dans une alchimie créant ainsi l'unité théâtrale entre l'ombre et la lumière.

 

 


                                                                                                                     Marie-France Bellissant

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28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 17:15

 

Un Marivaux enlevé qui laisse malgré tout « le cul entre deux chaises »

un spectateur de bonne foi

 

 

Jean-Pierre Vincent, metteur en scène phare de toute une génération et créateur prolifique depuis les années 60, renoue avec Marivaux le temps d'une création où «faire semblant de faire semblant» devient le mot d'ordre de ses Acteurs de Bonne foi, quitte, parfois, à laisser le spectateur indécis face à un jeu souvent inégal qu'il ne sait plus comment lire : jeu du jeu dans le jeu ou comédiens « en dessous »?


 

 

Les Acteurs de Bonne Foi de Marivaux, comédie en un acte et en prose de 1757, raconte comment le valet Merlin tente de faire jouer, à l'occasion des noces d'Angélique et d'Éraste et pour le plaisir de la tante de ce dernier, une comédie all'improvviso par ses camarades. Lisette, suivante d'Angélique et amante de Merlin, Blaise, fils de fermier, et Colette, fille du jardinier et amante de Blaise, sous l'orchestration de Merlin, s'apprêtent donc à jouer le canevas imaginé par Merlin. Lisette est courtisée par Blaise, Merlin courtise Colette, mais tout se gâte rapidement car ce « jeu » là n'est pas du goût de tout le monde. Qu'est-ce que le théâtre ? Qu'est-ce que jouer ? Jusqu'où pouvons-nous jouer à être qui nous sommes ? Dans une accumulation de quiproquo, Marivaux s'amuse ainsi à questionner l'art qui est le sien.


 

Dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent, quand le noir se fait dans la salle et que le plateau s'allume, les spectateurs découvrent un espace dont les côtés sont encombrés de tas de foin et dont le sol est par endroits recouvert de terre. Ces éléments renvoient à une certaine idée de la campagne et feraient apparaître le lieu comme une possible grange s'ils étaient seuls en scène, d'autant plus qu'ils sont accentués par l'utilisation d'une bande son faite de cri d'animaux et autres bruits renvoyant à l'agitation d'une exploitation fermière. Cependant, sur le mur du fond, le sectateur peut voir une toile peinte qui représente une main dans des teintes roses et ocres vieillies. Cette main, celle peut-être d'un marionnettiste, remet en question le désir affiché de réalisme, lisible dans l'espace. Elle met en effet en avant dès le début du spectacle l'idée même de jeu, d'autant plus qu'elle surplombe un espace autre, plateau de jeu différent qui n'est ni espace extérieur, ni intérieur quelconque mais qui apparaît déjà comme un plateau sur le plateau et donc comme un lieu du jeu, de tous les jeux... et de tous les excès.


A jardin, un homme s'étire, s'ébroue, prend son petit déjeuner. Tout de suite, force est de remarquer son costume qui agit comme une rêverie autour du « costume d'époque » du XVIIIème siècle. Comme le reste des costumes du spectacle, il conserve une coupe qui évoque clairement le siècle de Marivaux tout en jouant sur des couleurs très vives qui décalent l'ensemble et relèvent d'une certaine modernité de ton.

Des personnages entrent, agissent, se saluent... et le texte démarre. Première scène entre les amoureux (Angélique et Éraste) : gêne, vivacité et effronterie de la jeunesse ; les corps sont très dessinés, l'engagement des comédiens est total et les premiers rires fusent. On rit en effet pendant ce spectacle, on rit beaucoup même ; mais on ne sait pas toujours pourquoi. Quand la comédienne qui joue Madame Argante (mère d'Angélique) use de mimiques de corps en accord avec les propos que tient sur elle Madame Amelin (tante d'Éraste) le comique de situation nous fait éclater d'un rire franc. A l'inverse, lors de la bagarre entre Merlin, Colette, Blaise et Lisette, bagarre de théâtre à laquelle il est impossible d'accorder le moindre crédit, on ne sait s'il faut rire ou pleurer, et certains des rires qui secouent alors le public sont assez moqueurs. Rire jaune, rire nerveux, rire franc, rire d'incompréhension, rire de communion... le spectateur passe de l'un à l'autre dans un curieux mélange.


Jean-Pierre Vincent, en dirigeant ses comédiens vers un jeu souvent très extérieur (voire outré) qui use et abuse de grands mouvements, de prises d'espace circulaires non justifiées ou encore de prises de parole grandiloquentes, laisse par moments son public entre deux eaux. On ne sait en effet si la « fausseté » de certains moments (répétitions des valets, discours de l'ami de la tante du jeune premier) fait partie intégrante du spectacle ou si elle n'est due qu'à des soucis inhérents aux comédiens ou à la direction d'acteur. En outre, si cette « fausseté » est volontairement recherchée, que raconte t-elle du plateau, du jeu, du métier de comédien, du théâtre ? Le comédien ne serait-il qu'une marionnette entre les mains de ses passions ? Où s'arrête le réel, où commence le jeu ? Comment le réel nourrit la fiction et inversement ? Dans les choix mis en scène par Jean-Pierre Vincent, c'est flou car souvent pas assumé jusqu'au bout. On ne sait en effet ce que Jean-Pierre Vincent veut raconter de son rapport au jeu, au plateau, au théâtre. Lorsqu'il exhume des textes de Rousseau qu'il mélange à la prose de Marivaux dans une démarche quasi-historique qui vise à créer un parallèle entre XVIIIème et XXIème siècle sur la question de l'utilité au théâtre, Jean-Pierre Vincent perd un peu plus son spectateur qui s'interroge, lui, sur l'utilité d'assister à ce spectacle de « faux bon élève » à la pertinence toute relative. En voulant en dire beaucoup, Jean-Pierre Vincent finit ainsi par ne rien faire passer du tout.


 

Si on sort des Acteurs de Bonne Foi soulagé de ne pas s'être ennuyé comme on pouvait le craindre grâce à l'énergie et à la générosité des comédiens, on ne peut que regretter le côté un peu « prétentieux » du tout qui tend à donner l'impression que ce spectacle est l'incarnation de l'idéale façon de monter Marivaux au XXIème siècle; étalage de savoir et de supériorité agaçant et mal venu, vous en conviendrez.

 

 

 

         Juliette Salmon

 

 

  Les Acteurs de Bonne Foi,Marivaux. Mise en scène Jean-Pierre Vincent.

Avec Patrick Bonnereau, Julie Duclos, Anne Guégan, David Gouhier,

Annie Mercier, Pauline Méreuze,

Laurence Roy, Mathieu Sampeur, Claire Théodoly, Olivier Veillon.

En tournée jusqu'au 2 avril 2011 en France.

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  • : Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
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