Marc, vous êtes comédien professionnel et professeur de théâtre, est-ce que vous pourriez nous retracer votre parcours ?
C’est compliqué. J’ai commencé par aller à Paris en 1970, après mon bac, pour faire des études d’architecture, ce qui ne m’amenait pas du tout à ça. Et puis parallèlement, suite à un voyage en Afrique, pendant les deux années suivantes à Paris, j’ai fais de la danse et des percussions africaines. A l’époque il n’y avait que deux cours de danse africaine en France, à Paris uniquement. Et des djembés il n’y en avait que trois en France. Il y en avait peut-être quelques uns qui servaient de bar chez d’anciens colons mais en état de marche il y en avait trois. J’ai du attendre de retourner en Afrique en 1973 pour en avoir un.
Et puis en 1972, je me suis donné une année sabbatique dans mes études d’architecture et c’est à ce moment là que la musique et la danse ont pris le dessus. Très vite je n’ai plus fais que ça. J’avais fais de la musique enfant et ado, j’avais fait une douzaine d’instruments et puis c’est par la musique africaine que c’est revenu. Très vite ça à marché parce que c’était très nouveau un joueur de percussions africaines. Donc je jouais un peu partout et ça surprenait tout le monde. Ce qui fait que j’ai été intermittent dès 1973.
Ensuite fin 1973, j’ai passé une audition pour entrer comme musicien chez Peter Brook, qui faisait un spectacle pour enfant sur un conte de Grimm. C’était juste ponctuel, un contrat de trois semaines. J’ai été pris, on a fait cette pièce qui s’est très bien passée, puis début 1974 suite à une histoire compliquée, Brook s’est retrouvé avec la moitié de ses comédiens de Timon d’Athènes sous contrat qui ne jouaient pas pendant une période de presque 6mois (pendant une nouvelle création, Les Iks). Du coup, durant ces six mois, Brook a organisé des ateliers.
C’était Brook lui-même qui animait ces ateliers ?
Oui en partie, mais aussi avec Yutaka Wada qui était son assistant et quelques comédiens plus anciens de la compagnie. On était parfois tous ensemble avec les comédiens de la création en cour et parfois juste le groupe qui ne jouait pas. En faite si je dis « on » c’est parce que suite aux trois semaines que j’ai passé sur la création autour de Grimm, Brook m’a demandé d’animer un atelier sur la relation musique/mouvement. Dans le cadre d’un atelier de deux heures par semaine. Sur le rapport musique/mouvement parce que dans la danse africaine c’est un rapport particulier et très intéressant, notamment dans la partie improvisée. Comme peu de gens connaissait ça, ça l’intéressait. Donc je me suis retrouvé à animer un atelier pour la compagnie de Brook à 21 ans. Du coup j’ai accepté en disant que ce qui me plairait ça serait aussi de pouvoir suivre en même temps la semaine de travail dans les autres ateliers. Je n’avais pas de travail, je venais de finir un projet et c’était possible pour moi de me libérer toute la journée. C’est comme ça que pendant six mois, j’ai suivi les ateliers de la compagnie.
Puis lorsqu’il y a eu la reprise de Timon d’Athènes, Peter Brook m’a proposé de jouer dedans en tant que comédien aussi puisque j’avais suivi tout le travail. C’est comme ça que j’ai commencé, c’est quasiment ma première entrée dans le théâtre en tant que comédien.
C’était important de raconter ce point de départ. Après, j’ai essayé de mener les deux de front, musique et théâtre, avec des périodes plus chargée en l’un ou l’autre, mais souvent j’étais engagé comme comédien-musicien. Puis j’ai eu des périodes où je n’ai presque plus fait de théâtre, comme la période où j’étais dans la compagnie Lubat (ndlr : compagnie de Bernard Lubat). C’était un groupe qui tournait énormément donc je ne faisais pas de théâtre. J’ai continué à faire un peu des deux et quand je suis arrivé à Bordeaux en 1989, j’ai assez vite été directeur de l’Orchestre régional de jazz. Entre temps j’avais travaillé l’harmonie pour composer, quand je me suis aperçu que je serais jamais africain (rire). Après une dizaine d’année de percussions africaine, je me suis dit qu’il fallait que je fasse aussi autre chose et donc ça faisait déjà un moment que je composais. Sur Bordeaux, de 1989 à 1995, je n’ai pas fais de théâtre du tout, j’étais uniquement musicien.
Ensuite j’ai repris le théâtre avec la compagnie Le Grain et de fil en aiguille le théâtre a repris plus de place que la musique. L’Orchestre régional de jazz a fini par s’arrêter faute de moyens ce qui a laissé place au théâtre. Aujourd’hui et depuis un peu plus de 10ans, je fais du théâtre quasiment à 90 pourcent de mon temps. Je compose encore des musiques, des chansons, parfois pour les pièces dans lesquelles je joue, mais je suis essentiellement comédien.
Voilà à peu près mon parcours. Au niveau formation initiale, il n’y avait uniquement que ces six mois chez Brook, après j’avais fait un stage de quelques mois chez Lecoq à la fin des années 70, début des années 80. Mais c’est tout ce que j’ai eu niveau formation, le reste c’est sur le tas, sur le plateau avec différent metteurs en scène. J’ai eu la chance d’avoir souvent des metteurs en scène qui étaient bons directeurs d’acteurs donc ça m’a aidé. Puis pendant mes dix premières années à Bordeaux j’enseignais plutôt la musique et maintenant ça fait presque dix ans que j’enseigne le théâtre à la fac.
Justement qu’est-ce qui vous a poussé vers l’enseignement ?
J’ai toujours eu le goût de transmettre. Pour le djembé j’ai attendu très longtemps. J’ai réellement commencé à Bordeaux, avant j’avais parfois un élève qui me suivait pendant les stages de danse. Mais j’ai enseigné la danse avant, parce que je n’ai pu enseigner cet instrument que lorsque j’ai pu faire ma propre musique et par là avoir l’impression d’avoir quelque chose de spécifique à transmettre.
Pour le théâtre, ça vient aussi du côté atypique de mon parcours. La sensation que j’avais peut-être quelque chose à transmettre qui soit un petit peu différent de ce qu’on transmet en général.
Est-ce que c’est la fac qui s’est adressé à vous ou bien avez-vous fait vous-même la démarche ?
C’est la fac. C’est Jean-Yves Coquelin (ndlr : directeur, à l’époque de la section Théâtre à l’université Bordeaux III) qui m’a contacté.
En faite je m’y suis tout de suite senti bien parce que ce qui m’intéresse à la fac c’est que, même si la part de pratique, domaine dans lequel j’interviens, est assez réduite dans l’enseignement, (avant avec le DEUST c’était un peu plus important), il y a un gros avantage, c’est qu’il y a une réflexion sur le théâtre qui est plus large que simplement le plateau, le jeu. Ca m’intéresse de m’inscrire dans une formation comme celle-ci. Je ne serais pas mécontent d’enseigner au conservatoire (rire), mais à la fac j’ai des satisfactions particulières. Le fait d’avoir des gens qui sont assez divers, qui sont souvent très ouverts sur d‘autres chose que simplement briller sur le plateau.
Est-ce que vous enseignez uniquement à l’université ou avez-vous des cours avec des jeunes, des enfants ou des adultes ? Quel public préférez-vous ?
Non je n’ai aucun cours ailleurs. Je n’aime pas du tout faire de cours réguliers. Je préfère de loin enseigner sous forme de stages. Pour mes cours à la fac je me débrouille toujours pour que ça soit plutôt en stage que sous forme de cours hebdomadaires.
Ensuite je dois dire que j’ai très peu travaillé avec les enfants. Par contre je ne fais pas de différence entre les jeunes adultes, les plus mûres, voire même les plus âgés. Il n’y a pas de différence à partir du moment où les gens savent pourquoi ils sont là. De là on peut avoir une relation d’égal à égal. C’est du moins ce que j’essaie d’instaurer dans mes cours et c’est ce qui m’est un peu plus difficile dans la relation avec les enfants. Je trouve qu’il y a trop de différences de position.
Vous avez à ce jour une actualité, vous jouez régulièrement. Comment arrivez-vous à concilier votre vie de comédien professionnel et votre vie d’enseignant ?
En réalité cette année ça a été compliqué. C'est-à-dire que ces dernières années je donnais un stage pour chacune des trois années de licences et cette année je n’ai pas pu. Ceci parce que j’étais entièrement pris tout le premier semestre, ce qui fait que je n’ai pu donner de stage qu’aux élèves de première année. Donc ça prouve que la conciliation ne marche pas toujours. C’est aussi ce qui fait que je préfère travailler sous forme de stage, parce que c’est bien sûr plus facile à placer dans mon emploi du temps. Par exemple cette année je n’aurais pas pu enseigner du tout si ça avait était une heure par semaine. C’est très compliqué de trouver trois mois où je puisse venir toutes les semaines.
Donc vous privilégiez tout de même votre vie d’artiste ?
Oui, oui oui, sans aucun doute. Toujours. Je l’ai toujours fait. Et j’ai l’impression de n’avoir quelque chose à dire en tant qu’enseignant que parce que je continue à me nourrir de la scène. Je suis dans une attitude d’élève moi aussi. Chaque fois que je suis dans une nouvelle création j’estime que j’ai quelque chose à apprendre, donc je ne perds pas le contact. Ca revient à ce que je disais sur le fait d’être dans un rapport d’égal à égal avec mes élèves, c’est que moi aussi je me sens toujours en cours de formation.
Si aujourd’hui je vous demande si vous vous sentez plus professeur ou comédien, que me diriez-vous ?
Comédien. Il n’y a pas d’hésitations. Je ne peux me sentir de légitimité comme prof que parce que je suis avant tout comédien. Ce qui ne veut pas dire que les profs qui ne sont que prof sont moins légitimes, c’est tout à fait personnel.
Et comment faites-vous pour organier votre travail ?
Pour ce qui est de la fac, je donne mes disponibilités et on s’arrange pour caser les cours dans mes temps creux. Après, une fois qu’ils sont placés, je m’arrange pour ne pas avoir de dates qui tombent dessus. Pour cela je communique aussi mes dates de stages à la fac aux compagnies avec lesquelles je travaille en disant qu’à ces moments là je ne suis pas libre.
Mais en général en début d’année j’ai mon planning de comédien qui est en place, parce que les spectacles se vendent et se programment plus d’un an à l’avance, donc je connais mes disponibilités quand les emplois du temps de la fac se font.
Et si on parlait un petit peu association et compagnie.
Alors moi je n’ai pas vraiment de compagnie. J’ai une association qui pour le moment est en stand by, qui a servi de structure porteuse pour quelques projets que j’ai mené, mais je n’ai pas envie d’avoir de compagnie régulière. Je n’ai pas envie parce que j’aime trop le plateau pour ça. Je vois que pratiquement tous les copains qui ont fait des compagnies ne sont quasiment plus au plateau. Entre l’administration, le montage des projets et la mise en scène, ils ne sont pratiquement plus sur scène. En plus ils ne travaillent que sur leurs projets. Très peu arrivent à mener les deux de front. Tiberghien, un peu, qui arrive de temps en temps à jouer dans les projets des copains, mais c’est très rare. La plupart des directeurs de compagnie sont complètement enfermés dans leur propre compagnie et moi je n’ai pas envie de ça, je veux rencontrer des gens.
Alors oui, ça me démange souvent de monter des projets, de réaliser ce que j’ai dans la tête. J’écris et il y a des moments où j’aimerais monter ce que j’écris.
Et pourquoi ne pas créer un nouveau genre d’association, une forme plus libre, où vous ne seriez pas au centre, mais une structure créée à plusieurs pour plus de liberté ?
Un moment j’ai essayé de convaincre des amis parce que j’avais pensé à une sorte d’association avec un comité de pilotage qui serait plus ou moins dépendant de l’OARA (ndlr : Office Artistique de la Région Aquitaine), avec des comédiens et des metteurs en scène et qui serait la structure porteuse de deux ou trois projets par an. Chaque personne qui voudrait monter un spectacle ne serait pas forcément obligé de créer une compagnie et donc de créer une infrastructure.
Mais j’ai l’impression qu’on est un peu coincé actuellement dans le système. Pour monter un spectacle on est obligé d’avoir une compagnie, pour toucher des subventions, alors qu’actuellement les subventions ne sont données qu’à des compagnies repérées.
J’aimerais pouvoir faire une pièce tous les deux ou trois ans, avoir le temps d’y penser. Même peut-être passer cinq ans sans projet puis en monter un. J’aimerais ça et je suis sûr qu’il y a plein de directeur de compagnie qui aimeraient ça aussi. Mais une fois que tu as une compagnie si tu veux qu’elle survive, tu es obligé d’avoir une administration et de la faire vivre, d’assurer les subventions tous les ans.
J’ai l’impression que pour que ça marche il faudrait une asso directement reliée, soit au conseil général, soit à l’OARA, avec un comité de pilotage. Je pense qu’une asso indépendante, regroupant quelques comédiens qui ont envie de monter des choses n’aura aucune chance d’avoir de subventions.
Si quelqu’un se présentait à vous en vous disant : « Je veux faire comme vous, je veux être comédien et je veux aussi avoir une indépendance en tant que professeur. » Quels conseils lui donneriez-vous ?
En faite, il faut aussi avouer que ce qui fait que ça marche ou pas c’est le bol. Il y a quand même une grande partie de chance. Dans cette question, le plus important c’est avant tout d’arriver à devenir comédien (rire). C’est d’une certaine façon plus facile d’arriver à être prof. C'est-à-dire que tu peux toujours ouvrir un cours de théâtre et puis ça marche plus ou moins bien, tu peux toujours trouver des ateliers. Mais arriver à être comédien, c’est déjà plus mystérieux. Quand tu démarre, s’il y a un truc essentiel, c’est d’être très ouvert, d’aller beaucoup voir les gens. On ne peut pas attendre que les gens s’intéresse à toi si toi tu t’intéresse pas à eux.
Dans les metteurs en scène locaux par exemple, si tu as vu tous leurs spectacles depuis dix ans quand tu parle avec eux c’est autre chose et je pense que les metteurs en scène sont aussi sensibles à ça. Ils ont besoin qu’on s’intéresse à eux autant que nous avons besoin qu’ils s’intéressent à nous.
Effectivement, surtout dans un milieu relativement restreint comme en province, à Paris ça ne se passe pas pareil, c’est plus difficile de rencontrer les gens. Mais ici dans un petit milieu, si tu vas à tous les spectacles des gens du coin, tu fais leur connaissance forcément. Puis au bout de plusieurs fois que tu les rencontre tu peux leur dire « je joue à tel endroit », ils peuvent venir te voir et comme ça tu commence à exister. J’ai l’impression que c’est le seul moyen. Ca ne veut pas dire faire du lèche botte partout mais c’est simplement sincère, si tu es ouvert aux autres ils vont aussi s’ouvrir à toi. C’est aussi bête que ça.
Merci beaucoup Marc d’avoir répondu aussi simplement à nos questions, en vous souhaitant une bonne continuation.
Entretien tenu par Ludivine Bacquet le 11 mars 2011 à Saint Loubès (Gironde), relu et amendé par Marc Depond.