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11 mars 2013 1 11 /03 /mars /2013 04:25

Krinomen du 7 février 2013 préparé, animé et modéré par Margaux Boisserand, Juliette Cousin-Genty, Anastassia Molina, Thomas Vivien.


Prise de note et compte-rendu : Élise Lestié, Margot Cazaux-Ribère

 

 

Jean-François Sivadier explore une version du Misanthrope très « rock n’roll »

 

Jean-François Sivadier est un comédien et metteur en scène de théâtre et d'opéra né en 1963. Comédien au Centre théâtral du Maine puis élève du Théâtre national de Strasbourg, il rencontre Didier-Georges Gabily, encore peu connu à cette époque, avec lequel il créera le groupe T'chang'. Proches, ils travaillent entre autres sur la mise en scène, laissée inachevée, du diptyque Dom Juan / Chimère et autres bestioles en 1996. Après une entrée remarquée dans le monde du théâtre avec notamment La Folle journée ou Le mariage de Figaro de Beaumarchais et La Vie de Galilée de Brecht, il s’installe parmi les grands noms de la scène française. Il crée également Madame Butterfly et Noli me tangere.

Dans La Mort de Danton de George Büchner, La Folle Journée de Beaumarchais, La Vie de Galilée de Brecht ou encore Le Roi Lear de Shakespeare, il met en scène l’histoire d’un homme ou même d'une société toute entière qui semblent emportés dans un mouvement qui les dépasse, une démarche qu’il poursuit avec Le Misanthrope où l’on retrouve un mouvement analogue. 

Le Misanthrope ou L’atrabilaire amoureux, comédie de Molière en cinq actes, fut représentée pour la première fois au Palais Royal le 4 Juin 1866. Elle est inspirée du Dyscolos de Ménandre. Dénigré par ses contemporains, ce texte traite de l'hypocrisie de la société en abordant les thèmes de l’amour et de la justice.

 

            La mise en scène de Sivadier offre une scénographie riche de nombreux éléments. Un sol jonché de confettis noirs et parsemé de paillettes est, à deux reprises, balayé par les comédiens pour dessiner de nouveaux espaces au sol. Des ballons lumineux déplaçables attirent le regard et éclairent par moment des espaces intimes restreints. Un long rideau noir transparent en fond de scène nous laisse deviner des mouvements qui se déroulent en fond de plateau. Un petit rideau blanc traverse le milieu de scène lorsque le comédien le tire et le place où il le souhaite, et des petites lumières dessinant des lignes au sol structurent l’espace. Une table en fond de scène à cour, un tas de chaises à jardin, deux petites fontaines à cour et à jardin en avant-scène, et une plus conséquente placée davantage vers le fond, additionnés à deux lustres construits avec des chaises dont les pieds sont arborés de petites lumières, créent une ambiance à la fois luxueuse et désordonnée.

 

Les enjeux d'une scénographie spectaculaire au service d'un texte abordant le thème de la superficialité et de l'hypocrisie

 

La scénographie proposée est impressionnante de par l'esthétique qu'elle propose, mais également grâce aux surprises dont elle recèle. Des matières très variées sont utilisées, qu'elles soient lourdes, fluides, brillantes, mates, légères, imposantes ou discrètes. Cette scénographie est en perpétuelle évolution, de nombreux mouvements accompagnent les décors : les fontaines s'allument et s'éteignent, les lumières changent, les rideaux créent des espaces mouvants, des paillettes tombent du plafond... Cela offre de grandes possibilités de jeu aux comédiens qui semblent s'amuser avec cet espace riche.

 

Vient alors la question du sens que produit ou non cette scénographie, des propos qu'elle vient soutenir, de la lecture qu'elle nous donne à voir du Misanthrope. Partant d’une réception première, cette scénographie, que l’on peut aisément considérer comme « belle », peut suffire à combler les attentes du spectateur, les éléments scénographiques venant soutenir un engagement qui serait purement esthétique. La scénographie est vue comme une machine à jouer et non comme un moteur de production du sens.

 

Du point de vue de l’analyse, ce dispositif scénographique peut évoquer la manière dont le théâtre était créé à l'époque de Molière. Les lampions présents sur le plateau feraient référence aux bougies qui éclairaient les spectacles au XVIIème siècle. Le principe du palais à volonté serait également retrouvé dans cette mise en scène de Sivadier dans le fait que la scénographie offre la possibilité de se figurer de nombreux espaces : des intérieurs, des salons, des extérieurs, des jardins....

On peut alors relever que le lieu dans lequel se déroule le Misanthrope n'est pas clairement défini par Molière. Cette ambiguïté est soulignée par la scénographie qui présente elle aussi un ou des lieux abstraits. C'est un endroit où tout peut se passer mais où rien ne se passe, un "nulle part" qui pourrait être partout.

Ce décor foisonnant joue sur l'apparence. Il semblerait donc qu’il puisse apporter une image de la société mondaine qu’évoque Molière dans le Misanthrope. Pour aller plus loin, le sol est de la même couleur que la robe de Célimène, on peut donc voir un lien entre ce personnage et la manière dont est construit le décor. Célimène est une précieuse, un personnage tout en extravagance, au même titre que ses amis de cour ; les changements de décor se font très rapidement si bien que l'on passe vite d'un espace à un autre : dans cette même analyse, on peut y voir un lien direct avec le caractère d'Alceste qui hésite constamment et ne semble jamais réellement savoir ce qu'il veut. La scénographie ferait donc écho aux vices des personnages.

 

Nous soulevons pourtant ce qui pourrait apparaître aux yeux de certains comme étant une ambiguïté : lorsque l'on observe cette scénographie avec plus de précision, on se rend compte qu'elle n'est pas si brillante qu'elle y paraissait au premier coup d’œil. Ce que l'on pensait être des paillettes recouvrant le sol sont en réalité des morceaux de sacs poubelles. Le tas que forment les chaises empilées sur le plateau donne une grande impression de désordre. L'absence de pendrillons offre à voir la régie et les techniciens au début du spectacle. Le char d'Arsinoé qui semble extraordinaire n'est, en réalité, constitué que d'un plateau posé sur roulettes et d'une chaise le surplombant. Tout cela n'est donc pas réellement luxueux.

Sivadier semble accorder beaucoup d'intérêt à un travail sur le recyclage dans son art. Il souligne régulièrement son désir de travailler sur le paradoxe entre l'Arte Povera (mouvement artistique italien qui tend à n'exploiter que des matériaux pauvres comme du sable, des chiffons, ou de la poussière par exemple) et le luxe de l'art baroque. Ce parti pris se retrouve très clairement dans la scénographie du Misanthrope qui allie de la matière de sac poubelle avec des tissus très fins et nobles pour créer un décor grandiose.

Pourtant, on arrive à se questionner sur la cohérence de ce parti pris, non seulement car il s’éloigne de la portée du texte de Molière mais aussi car, n’étant pas assumé jusqu’au bout, il n’est pas aisément accessible et brouille notre interprétation du spectacle.

 

            Un spectacle qui mélange sans retenue le classique et le contemporain

 

De nombreux éléments du spectacle tendent à nous montrer une cohabitation entre le théâtre de Molière, tel qu'il était au XVIIème siècle, et notre théâtre contemporain, tel que le conçoit Sivadier. On trouve, par exemple, des costumes modernes qui ont la coupe des costumes du XVIIème siècle. Les classiques manches bouffantes se mêlent aux extravagantes chaussettes vertes. Nous percevons le même décalage lorsque les personnages portant des kilts se voient ornés de perruques mondaines. Ces assortiments improbables apportent des effets de surprise qui rendent le spectacle intriguant et captent l'attention du spectateur. Ces mélanges peuvent être considérés comme des moyens dont Sivadier use pour moderniser le texte de Molière. Un fil est tiré entre le XVIIème siècle et la modernité.

Le mélange des époques apparaît aussi très clairement dans les choix musicaux que fait Sivadier, par exemple lorsqu'un morceau des Clash est suivi d'un passage des Quatre Saisons de Vivaldi. Comme le travail sur le paradoxe dans la scénographie, ce travail sur le mélange des époques peut paraître trop peu assumé par le metteur en scène car ces entrevues modernes restent superficielles et ne sont pas utilisées jusqu’au bout, provoquant quelque peu de frustration chez les spectateurs.

 

            Le traitement peu classique des alexandrins attire également notre attention. Les comédiens ont en effet une grande liberté quant à la diction de l'alexandrin. Nous insistons sur le fait que, pour ce spectacle, Sivadier n'a pas souhaité travailler l'alexandrin en tant qu’exercice particulier afin d'arriver à une sorte de "démocratisation" de la diction. Cette prise de liberté par rapport aux règles classiques de diction de l'alexandrin donnerait du sens au texte, lui permettant d’être plus facilement compréhensible pour un public non habitué aux alexandrins. Pourtant, par cette modernisation de la diction et par le jeu d’acteur et leur manière trop linéaire et monotone de déclamer l’alexandrin a pu rendre le texte difficilement accessible. Bien que la volonté de moderniser l’alexandrin et de lui faire quitter sa raideur classique puisse être reconnue, on peut aussi l’interpréter comme une façon de se moquer de la forme classique, tant les comédiens, par moment, exagéraient leurs intonations.

            Ensuite, plusieurs passages de chant, de danse et de pantomime sont insérés dans le spectacle. Ces moments sont soit perçus comme des passages de pur jeu, soit comme des satires acérées de la préciosité tant masculine que féminine.

Lors de leurs premières mises en scène, les spectacles de Molière étaient rattachés à leur époque : on peut voir dans ces insères chorégraphiques un moyen pour Sivadier de rattacher, à son tour, la pièce à notre époque.

 

 

            Des rapports ambigus entre la mise en scène et la portée politique et sociale du texte

 

            On peut considérer que la portée de ce spectacle n'a rien de politique. Quelques éléments de mise en scène nous laissent distinguer ce qui semblerait être un léger flirt avec des messages politiques mais ceux-ci se rapprochent plus de la moquerie et de la satire que de la véritable révolution. Les propos politiques, aussi peu nombreux soient-ils, sont alors considérés comme n'étant utilisés que pour servir le spectaculaire. 

Parmi ces éléments effleurant un quelconque message politisé, on trouve l'utilisation par l'un des personnages d'une photo de Berlusconi. Face à cela nous nous demandons inévitablement si Sivadier a cherché par là à porter un véritable message politique ou si cet élément n'avait d'utilité qu'à actualiser le texte de Molière et à le rendre “parlant” pour les spectateurs de notre époque.

Nous prenons rapidement conscience que tout le monde n'a pas pu distinguer la figure de Berlusconi, l'image tenue par le personnage étant trop petite, mais chacun a compris le concept de moquerie. Il apparaît alors que l'important n'était pas l'évocation de la personne Berlusconi en particulier mais la mise en parallèle de la tirade avec un homme politique actuel. Ceux qui ne pouvaient pas distinguer le visage de Berlusconi pouvaient choisir la tête de turc qu'ils voulaient, et le comique de la situation fonctionnait tout aussi bien. Le portrait ayant pu être celui de n'importe quel homme politique actuel, il nous parait donc clair que ce passage n'a pas de portée dénonciatrice mais une visée essentiellement comique qui soutient l'aspect spectaculaire de la pièce.

 

            Le rapport scène-salle effleure aussi ce côté politique dans le sens où les critiques sur les hommes et la société sont adressées directement aux spectateurs ou même déclarés dans la salle. Nicolas Bouchaud descend dans le public pour énoncer sa tirade, s’adressant à tous. On ne peut alors que se sentir concerné par son texte et par sa critique. La présentation de la photo de Berlusconi semble renforcer cette recherche de la cohésion des spectateurs : une vague de chuchotements se crée dans le public pour donner l’information sur l’identité de l’homme politique montré. Que ce soit négatif ou positif, la communauté de spectateurs se crée, nous partageons nos défauts tels que celui d’appartenir à cette société superficielle, mais également nos qualités comme celle du partage des connaissances.

Ce rapport est mis en pratique dès l’entrée des spectateurs dans la salle pendant laquelle les comédiens sont sur scène, sans encore jouer leur rôle puisqu’ils répondent aux salutations. Durant la première scène en frontal, ce rapport comédien-personnage reste ambigu car on peut y voir non seulement les personnages mais aussi les comédiens, ce qui pose un questionnement sur l’illusion théâtrale. En effet, une représentation de théâtre n’est pas seulement illusion, ce qui se crée entre les comédiens et le public est bien réel. La tirade en alexandrin qui annonce la pièce en début de spectacle renforce ce phénomène de cohésion sociale : elle permet aux spectateurs de se sentir concerné directement.

Pourtant, cette volonté sociale ne semble pas être évidente pour tous les spectateurs. Bien que ces tentatives soient intéressantes, elles ne sont pas assez approfondies car le quatrième mur est toujours bel et bien présent lors de la majorité des scènes. Nicolas Bouchaud semble hésitant lorsqu'il descend dans le public, et il n’y reste que trop peu de temps. L’apport d’un message social dans cette mise en scène est donc perceptible mais trop effleuré pour pouvoir avoir un réel impact sur le spectateur.

 

 

 

            Le but de Sivadier ne semble donc sans doute pas de faire un spectacle engagé mais d’exploiter différentes voies, que les comédiens s’amusent et amusent le public, l’entraînant dans une expérience collective. Il ne dénonce pas, il ne démontre pas. Il joue sur les attentes du spectateur, sur la frustration, tant avec le décor qui offre de nombreuses opportunités pas toutes exploitées qu'avec tous les points explicités précédemment : de nombreuse tentatives de jeux, de diction, de mélanges des époques qui sont effleurés sans pour autant être exploitées suffisamment en profondeur. La mise en scène de Sivadier n’est donc sans doute pas à intellectualiser mais invite à se laisser porter par ses attentes, ces questionnements, ces frustrations.

Gratuité ou paradoxe ? dès le début du spectacle, les comédiens sont  au plateau et non les personnages, ce qui place le spectateur entre réalité et fiction. Dès que la pièce commence, le rideau de fond tombe, dissimulant la machinerie théâtrale, on entre dans le théâtre. Mais dès la première scène, l’ambiguïté s'installe et le spectateur peut naviguer entre ces deux pôles et rester sans cesse dans cette hésitation et ce questionnement.

 

           

La portée de ce spectacle étant principalement esthétique, on peut alors se demander quel est l’intérêt de monter un classique aujourd’hui : est-il revisité pour son intérêt culturel ou pour son intérêt esthétique ? Et quel intérêt un Centre Dramatique National trouve-t-il dans la diffusion de ce classique ?

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10 mars 2013 7 10 /03 /mars /2013 08:44

 

Krinomen du 31 janvier 2013 préparé, animé et modéré par Calypso Buijtenhuijs, Alexia Duc, Théo Lasnier et Jessica Robert.


Prise de note et compte-rendu : Margaux Charbonnier et William Petipas.

 

 

 

 

 

Pendiente de Voto est une création de Roger Bernat, présentée pour la première fois au CDN de Madrid en Février 2012. Après des études de peinture et d'architecture Roger Bernat se tourne vers le théâtre et intègre l'Instituto del Teatro à Barcelone où il décroche un prix en 1996. Il fonde et dirige ensuite la General Elétrica avec Thomas Aragay, dont il se séparera en 2001. Il met notamment en scène les spectacles 10.000 kgs (1998), Confort Domèstic (1998), Flors (2000), Bona gent (2003), Amnésia de Fuga, La la la la (2004), Das paradise experiment (2006), Dominic pùblic (2008),Le sacre du printemps (2010), co-dirigé avec Yan Duyvendack, S’il vous plaît, continuez (2011), et  Pendiente de voto en 2012. Il expérimente au fil de ses créations un théâtre participatif et immersif, comme pouvaient l'être Pendiente de Voto, Le sacre du printemps ou encore Dominic pùblic. Là, au sein d'installations, par un recours à la technologie de plus en plus grand, et en faisant en sorte que son public devienne acteur de son propre spectacle, il transforme et déjoue les codes de la théâtralité, exprime peu à peu son rejet de la fiction, faisant de Pendiente de Voto une expérience du monde quotidien et de la communauté.

            Pendiente de Voto ("vote en cours") interroge son public lorsqu'il le fait entrer dans son Parlement en tri-frontal, scène du jeu politique. Armé de sa télécommande, le spectateur entre dans le théâtre qui se fait territoire, il devient l'acteur, le citoyen votant d'une expérience démocratique, il a la parole, une parole qui se débat dans la communauté du peuple réuni dans l'hémicycle. Face à lui, la présence d’un écran, l'acte artistique, se fait Système de pouvoir qui dirigera la séance politique. Sous cet écran des sièges attendent des membres de l’audience qui auront des missions spécifiques. Au centre de cet espace, des pieds de micro et des objets comme des ventilateurs sont disposés.

 

Le droit de vote est donné à chaque spectateur par le biais d’une télécommande sur laquelle figure un numéro. Chaque numéro correspond à un siège précis. C'est au travers d'un écran que le Système se présente à nous. Il nous pose des questions et le temps des réponses est limité. Les propositions aussi, puisque nous pouvons choisir de répondre « Oui », « Non » ou de nous abstenir. Après chaque question, l'écran affiche nos réponses sous forme de pourcentages et affiche également un commentaire de la machine. Sur l’écran apparaît aussi un plan de la salle avec les numéros de chaque siège et les réponses que chacun a donné.

 

Une première partie du spectacle consiste à voter seul avec sa télécommande, dans une ambiance plutôt conviviale. Les questions posées sont très variées. Cela va de notre préférence entre Georges Brassens et Jacques Brel à notre avis personnel sur la prostitution comme travail légal, en passant par notre sentiment à pouvoir prendre une décision dans cette assemblée ce soir-là. Ceux qui répondaient « Non » à cette dernière question voyaient leur télécommande se bloquer pendant une dizaine de minutes, les empêchant de voter. Entre les questions, il est donc possible de voir sur l’écran les réponses de chaque personne dans la salle. Pendant cette partie sont désignés deux Présidents et deux membres de l’Armée. Après une première demi-heure de spectacle, il y a une pause de dix minutes pendant laquelle les spectateurs doivent changer de place. Ils sont classés selon les réponses données en fonction de leur appartenance la plus fréquente à la majorité.

Initialement personnel, le vote se partage après la pause avec la personne assise sur le siège d’à côté. Une télécommande sur les deux est alors bloquée. Avant de répondre, il faut débattre avec cette personne à côté de vous afin de trouver une réponse commune. Le temps laissé pour débattre avant de voter est à peu près de quinze secondes. Une série de questions va laisser plus de temps au public pour réfléchir. Des interrogations portant sur des sujets à réflexion, sur des questions d’éthique ou des questions d’actualités - telles que « La circoncision doit-elle être financée par le système publique ? » - vont bénéficier de 90 secondes de débat dans toute l’assemblée. Des micros circulent pour donner la parole à des personnes ou à des binômes. Les Présidents peuvent arrêter le temps pour que le débat prenne plus de temps. Deux membres vont être désignés pour représenter le Tribunal. Une seconde pause a lieu pendant laquelle le public change à nouveau de place.

Dans cette dernière partie, les spectateurs sont répartis sur quatre gradins selon leur adhésion à la majorité en fonction des réponses précédentes et le droit de vote est partagé entre 4 télécommandes. Chaque groupe est équivalent en nombre et dispose d’un représentant qui a la télécommande, ainsi que d’un porte-parole.  Diverses questions sont à nouveau posées et chaque groupe peut débattre en interne puis désigner un porte-parole qui va débattre avec les autres partis, avant de rendre une réponse commune par le biais de son représentant.

Le Système propose enfin une dernière série de questions qu'il ne pose finalement qu'à une seule télécommande. Cette personne peut décider pour tous ou laisser l’Assemblée entière s’exprimer. Le Système finit par prendre le dessus sur les spectateurs en se proclamant artiste.

 

ð  Par cette forme de théâtre immersif à l'image d'une assemblée parlementaire, Roger Bernat interroge la parole. Son but est de dénoncer l'absence de débats politiques au sein même de nos gouvernements. Se plaçant hors des cadres traditionnels, les spectateurs deviennent les acteurs d'une réflexion collective, qu’elle soit politique ou non.

 

 

Pendiente de Voto implique donc de manière importante le spectateur dans le déroulement du spectacle. Cette forme théâtrale sort le spectateur d’une ambiance de spectacle traditionnel. En quoi alors Pendiente de Voto a sa place dans un théâtre ?

 

L’ambiance de ce spectacle s’apparente plus à un jeu télévisuel qu’à un spectacle auquel on peut avoir l’habitude d’assister. Au début, on pourrait se croire dans un grand quizz retransmis où les spectateurs et les téléspectateurs jouent avec leurs télécommandes. Malgré un commentaire de la part du système à chaque question, rappelant la fonction du présentateur TV, il n’y a ici pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Le public répond ce qu’il veut, non pas ce qu’il faut. La proposition s’éloigne toutefois du jeu télévisé car la séance n’est pas retransmise devant d’autres personnes. Les spectateurs sont entre eux dans une bulle. Ils sont ensemble, hors du monde et il peut s’en dégager une certaine ambiance assez conviviale.  Le rapport à l’écran et au virtuel n’est pas sans rappeler l’univers des médias qui aujourd’hui relaient l’information entre les citoyens, et particulièrement des réseaux sociaux où les êtres sont en en relation à travers un programme informatique, ce qui amène Eric Demey à dire que : « dans ce jeu de l’opinion à tout va […] tout se vaut, un « like » et un bulletin de vote finiront bien par avoir le même poids.»[1]

 

Dans cette pièce, on ne voit pas d’acteurs. Aucun comédien ne joue. Une machine est au centre de ce dispositif et anime la soirée. Une machine n’est pas vivante. Or le théâtre est un art vivant. Cette pièce présente donc un paradoxe et questionne le statut de l’acteur. Ici, le spectateur est amené à faire le spectacle. Sa participation fait que la forme est vivante. Et même si un système technologique est là pour guider le spectateur, cela suppose qu’il y a des gens derrière pour l’activer. Il y a bien une personne qui est à l’origine de ce projet, un artiste qui a pensé ce spectacle. Il a décidé de donner une certaine liberté au spectateur pour que chacun puisse créer la séance à laquelle il assiste. Une marge est possible d’une représentation à une autre puisqu’il existe des fins différentes. Certains crient pour qu’on leur neige dessus et d’autres restent quasiment sans voix et esquivent la question finale. L’artiste doit pouvoir étudier les changements chaque soir selon les publics. C’est comme un laboratoire. Bernat a invité un échantillon de citoyens à être les objets de cette performance. Le public se situe donc au centre d’une performance artistique, d’une pièce de théâtre et d’une expérience politique.

 

La question du lieu de la représentation se pose alors. Au vu des enjeux civiques et politiques que soulève la pièce, cette forme pourrait prendre place ailleurs que dans un espace clos et dédié au théâtre. Pourquoi pas dans un espace public ou un gymnase ? Pourquoi ce dispositif ne pourrait-il pas être utilisé par une collectivité qui s’interroge sur la démocratie participative ? Cette forme de spectacle peut se rapprocher du théâtre forum, genre particulier que développe Augusto Boal, artiste brésilien, dans les années 1960. Dans les favelas de Sao Paulo, des gens préparent une scène sur un sujet lié à l’oppression (sociale, raciale…) se terminant mal. Ils invitent alors les spectateurs à prendre leur place et à refaire la scène pour qu’elle se termine mieux. Ils veulent ainsi donner du pouvoir au peuple et permettre au public d’être acteur de sa vie en prenant conscience que le théâtre peut trouver des solutions et reformer la communauté. Pendiente de Voto invite dès le début à former une communauté. C’est une Assemblée Nationale d’un Etat qui va être amené à s’interroger sur des pratiques démocratiques. Pendiente de Voto, peut ainsi rappeler le film La Vague[2] et Roger Bernat veut nous montrer qu’une dictature peut arriver facilement sans que l’on s’en rende compte. De nombreux éléments y conduisent dans le spectacle sans qu’on le veuille et lorsque c’est le cas, on ne sait pas toujours quoi faire pour l’en empêcher.

 

Peut-on à ce moment-là parler de manipulation ? A travers quels procédés tente-t-on de nous manipuler ? Quelles sont les limites et les réussites de cette manipulation ?

 

Durant toute la performance, le spectateur est guidé. Roger Bernat sait où il veut nous emmener et quoiqu’on décide on en arrive toujours là où il veut. Roger Bernat a prévu un certain nombre de questions à poser pendant le spectacle. Ces questions fonctionnent comme un arbre et ses branches, c’est-à-dire qu’on nous pose une question et en fonction de notre réponse on nous en pose une autre. Si on répond oui, on se dirige sur une certaine branche de l’arbre où se trouvent certaines questions, si on répond non on se dirige vers une autre branche de l’arbre avec d’autres questions. Parfois, que l’on réponde oui ou non, la question suivante sera la même. Ainsi quelles que soient nos réponses, l’enchaînement des questions est organisé de telle façon qu’on arrive toujours à la même question finale.

 

La manipulation de Roger Bernat peut notamment passer par notre relation avec la machine, l’écran. Nous considérons cet écran comme une personne incarnée. C’est pour cela que lorsque cet écran se moque de nous à travers des phrases ironiques qui s’affichent après les résultats des votes, on ne peut s’empêcher de se remettre en question. On ne sait plus si on a bien fait de répondre ce que l’on a répondu, on voudrait pouvoir changer sa réponse, et la manipulation commence.

Dans ce spectacle, Roger Bernat veut recréer une micro société, un reflet de celle dans laquelle nous vivons pour nous montrer ses limites, ses défauts et nous faire réfléchir à notre situation de citoyen, à nos choix dans la réalité. Cette similitude avec la réalité se retrouve dans la formulation des questions. Celles-ci sont le plus souvent très radicales, ainsi les décisions que l’on doit prendre sont assez radicales aussi, elles ont des conséquences graves et pourtant on ne nous donne pas toutes les clés pour prendre ces décisions. C’est parfois le cas dans la vie quotidienne. Nous n’avons pas toujours de précisions, il faut vraiment aller chercher l’information pour se forger un avis sur des questions. Nos réponses sont aussi orientées par le fait qu’il y a souvent deux questions en une dans le spectacle, ainsi on doit répondre aux deux questions avec une seule réponse même si on voudrait y répondre séparément. Ces questions amènent d’autres questions, on voudrait pouvoir les reformuler mais on ne peut pas et ainsi on répond à contrecœur ou on s’abstient de répondre. Quel que soit notre choix on se sent frustré et on ne sait pas si on a fait le bon choix, on sent qu’on s’est fait manipuler mais on ne sait pas ce qu’on aurait pu faire pour l’éviter.

Le fait que l’on ne puisse pas choisir les questions ou leur formulation alors qu’on nous demande d’y répondre rappelle les élections présidentielles, on nous propose de choisir entre des candidats qu’on n’a pas sélectionnés, donc si aucun d’entre eux ne nous plaît on vote blanc ou on s’abstient. Si certaines idées d’un candidat nous plaisent, ce n’est pas le cas de toutes ces idées, et si on le choisit il essaiera de mettre la totalité de ses idées en place comme pour les doubles questions. Finalement entre deux maux on doit choisir le moindre.

Ce système est considéré comme une démocratie mais ne l’est pas vraiment. En principe, le peuple entier devrait avoir le pouvoir. C'est-à-dire l’ensemble des citoyens réunis. Aujourd’hui ce sont des instances représentatives qui ont le pouvoir. On peut parler de démocratie de façade, mais ce sentiment de frustration est bien présent. Il n’y a pas d’élections et on ne choisit pas les gens que l’on veut. Les Présidents élus dans le spectacle sont choisis au hasard. Cependant beaucoup de questions par rapport à la pseudo-démocratie que Pendiente de Voto met en jeu restent en suspens. La pièce ne va pas jusqu’au bout de la réflexion sur les régimes politiques et court le risque de se dissoudre.

Dans Pendiente de Voto le vote blanc n’existe pas, si on ne sait pas quoi voter on s’abstient forcément et une majorité d’abstention équivaut à un non donc nous sommes contraints de voter dans tous les cas. Cela entraîne des conséquences dont on peut se sentir responsable alors qu’on ne les souhaitait pas.

 

Une autre dimension à prendre en compte dans cette manipulation est le temps. En effet nous n’avons que quelques secondes pour voter, parfois même cinq secondes. C’est insuffisant pour réfléchir clairement à nos réponses et envisager les enjeux des questions. Lors des temps de débats, seuls les Présidents peuvent arrêter le temps et ils ne le font pas à chaque fois. Même si on leur demande, c’est uniquement selon leur bon vouloir que le temps s’arrête. Si l’on prend trop de temps pour réfléchir, le vote se fait sans nous et la télécommande considère que l’on s’est abstenu. Parfois même si l’on a eu le temps de répondre et que l’on est sûr de sa réponse on se rend compte que le résultat n’est pas du tout ce que l’on attendait. Nos réponses sont réinterprétées par la machine et en relisant la question, on se rend compte qu’en effet elle était ambiguë, ce qui ne se remarque pas toujours à la première lecture. De fait, on ne peut pas dire que notre réponse a été inversée mais on sent qu’on a été manipulé. D’autant plus que le vote blanc n’existe pas. Si on ne sait pas quoi voter, on s’abstient forcément et une majorité d’abstention équivaut à un non. Même si c’est un vote involontaire, il est comptabilisé. Cela entraîne des conséquences dont on peut se sentir responsable alors qu’on ne les souhaitait pas.

 

Les questions que l’on nous pose sont d’abord sans véritables conséquences, un peu simplettes, puis elles deviennent plus sérieuses. Au début du spectacle, on ne répond pas forcément honnêtement, on répond pour voir jusqu’où ça va aller, ainsi on se retrouve à décider que les « étrangers » (les retardataires) n’auront pas le droit de vote. Ces spectateurs ont payé comme nous, ils n’ont comme tort que d’être arrivés en retard et ils ne vont quasiment pas pouvoir participer au spectacle. Cela fait écho au fait que les étrangers en France et dans d’autres pays n’ont pas les mêmes droits que les français et notamment le droit de vote ; à quel point est-ce injuste de les empêcher de voter ?

 

Roger Bernat pousse à l’extrême les caractéristiques de la réalité ; il la caricature. On questionne le système, la place du citoyen, on remet tout en question après avoir vécu ce spectacle. Le créateur de Pendiente de Voto veut faire naître en nous la frustration nécessaire à cette remise en question. Cette frustration est due au fait qu’on ne peut pas aller plus loin même si on en a envie, car on n’en a pas le pouvoir, du moins tout nous pousse à croire qu’on ne l’a pas. Le fait de nous faire voter à l’inverse de ce que l’on pense représente l’hypocrisie de notre système, de nos politiciens et même notre propre hypocrisie face à la politique.

C’est cela qui permet à Roger Bernat de nous faire participer. C’est à travers ces changements de rythme et ces ruptures dans les registres de questions que le metteur en scène tente de nous tenir en haleine et fait en sorte que l’on continue à participer au processus.

 

A l’intérieur même du spectacle de Roger Bernat, on peut trouver des limites. Même s’il paraît y avoir un scénario assez libre mais quand même maîtrisé, tout dépend des réactions du public. Parfois le débat ne prend pas ou n’amène pas de consensus, les participants ne s’écoutent pas, le débat n’influence pas les réponses des autres et nous pouvons avoir l’impression qu’ils sont presque inutiles.

On peut aussi trouver des parades à la manipulation ; on peut empêcher le système de gagner. On peut prendre le parti de discuter entre nous sans répondre aux questions, sans prendre en compte la présence de l’écran, l’ignorer totalement. Aussi, si une question déplaît à la communauté, celle-ci peut demander l'annulation de cette question. On peut décider de ne pas prendre tout cela au sérieux et de répondre n’importe comment en se disant que, de toutes façons, il n’y aura aucune véritable conséquence (le système lui-même nous rappelle que l’on vote pour changer la météo –faire de la neige- ce qui est complètement absurde puisqu’on sait pertinemment que nous n’avons aucune influence sur la météo).

Si nous avions eu affaire à un animateur (un être humain face à nous) nos réactions auraient été différentes. On aurait pu le prendre à parti, se révolter contre lui. Le fait de ne pas savoir à qui s’en prendre, de n’avoir aucun interlocuteur nous plonge dans une logique contemplative. On sait qu’on devrait faire quelque chose mais on ne fait rien. Dans la réalité, on peut vivre des situations similaires. On ne sait jamais trop à qui s’en prendre et on peut se sentir livrés à nous-mêmes.

 

Il existe une grande part de ludique dans ce spectacle. Cet aspect est instauré au début de la représentation avec les télécommandes, puis il revient par touches lorsque le débat devient trop sérieux avec la neige (boules de polystyrène) ou les musiques que l’on choisit. Il permet de dédramatiser, de nous distraire du propos, de nous sortir du débat un instant. Le fait que nous sommes dans un théâtre nous pousse à vouloir du spectacle, c’est aussi pour cela qu’on répond oui à chaque fois que la machine nous propose de la neige. La dernière averse de neige arrive juste avant la question fatidique qui va déterminer si oui ou non nous allons laisser une seule personne répondre pour nous tous. Ainsi les derniers flocons de neige nous cachent en partie la question. On ne la lit pas correctement et on répond sans trop réfléchir, encore émerveillés de l’averse de neige. Le ludique permet à la manipulation de fonctionner. Cela peut rappeler la politique actuelle, dès qu’il y a un problème important, les médias parlent d’une histoire n’ayant aucun rapport, qui accapare notre esprit et nous déconnecte du problème initial qui se règle sans notre avis.

A cause de cette partie ludique qui est très présente, la participation au spectacle peut être détournée. De manière générale, cette expérience peut être vécue de manière très sérieuse. Des spectateurs peuvent prendre très à cœur certaines questions et s’impliquer personnellement dans le débat, voir être bousculés par les propos de certaines personnes, tandis qu’une attitude opposée est possible et consiste à considérer cette pièce comme un grand jeu. Le but n’est pas tant alors le débat et les questions, mais la rencontre et la bonne ambiance. Lorsqu’on adopte ce premier regard sur la pièce, on peut se sentir investi d’un pouvoir et subir plus facilement la manipulation, ce qui peut être vexant. Dans la seconde position, le spectateur a beaucoup plus de distance et de regard critique. Il s’amuse à voir ce qu’il se passe plutôt que d’essayer de convaincre les gens. Il se fait autant manipuler, mais par l’implication personnelle qu’il y met, le ressenti et les conséquences sont différentes. Ces deux conceptions sont opposées mais il y a entre les deux, des degrés différents d’investissements.

 

Un certain nombre d'individus aurait sans doute souhaité se révolter contre ce spectacle qui les manipule, de la même façon que le système dans la réalité, nous manipule. Mais comment se révolter ? La seule solution serait de sortir de la salle pour ne plus participer, cependant si tout le monde ne le fait pas ça n’aura aucun impact. On se sent impuissant et quoiqu’on fasse, le résultat ne sera jamais celui qu’on désirerait. Cela apparaît être la solution de facilité, une fuite. Le système lui-même nous dit que nous avons la possibilité de nous révolter. Il faudrait alors que tout le monde s’en aille. Si toute la communauté fuit, comme cela s'est produit à la première représentation de Pendiente de Voto, alors il y aurait véritablement une révolte. Mais le spectateur a payé son entrée et partir serait, pour certains, « gaspiller » son argent. D’autre part, le spectateur est curieux, il désir savoir où cette manipulation va le mener.

 

 

Ce spectacle a-t-il vraiment pour but de créer la révolte ? Est-ce que le but recherché ne serait pas justement de créer une communauté ?

 

Pendiente de Voto semble vouloir créer un esprit communautaire entre les spectateurs, en les réunissant selon leurs fréquences de réponses. Quelqu’un qui répond oui à une question où 45% ont répondu oui aura 45 points, comme les 44 autres personnes qui ont répondu oui. Si à la question suivante, il répond non comme 22% des spectateurs, il aura 22 points qui s’ajoutent aux 45 points. Chaque spectateur a ainsi un certain nombre de points qui lui permet d’être classé selon sa réponse et en fonction des réponses de l’assemblée. Le plus bas sera celui qui s’est le plus abstenu et le plus haut celui qui s’est retrouvé le plus souvent dans la majorité.

Le climat de voyeurisme de Pendiente de Voto ne favorise pas l'esprit de communauté. Les votes ne sont pas anonymes, de ce fait chacun peut se faire un avis sur l'autre. Mais malgré tout, il y a quand même des échanges, et donc plus de contacts entre les spectateurs que dans n'importe quel autre spectacle. Si un esprit communautaire réussit à exister malgré toutes ces contraintes, après le spectacle chacun repart de son côté. Justement, peut-être qu'un temps serait nécessaire pour échanger après cette expérience collective, et ce serait alors l'expérience de spectacle et non les avis sur les questions posées pendant le spectacle qui créerait une communauté.

 

Dans la dernière partie du spectacle, lorsqu'il n'y a plus que quatre votants, les groupes doivent discuter entre eux pour trouver un consensus, pour ensuite débattre entre eux par l'intermédiaire d'un porte-parole. Dans ce cas, les spectateurs peuvent adopter trois réactions différentes. Il y a ceux qui s'effacent et prennent du recul ; ceux qui essaient d'être modéré, de donner leur avis et d'écouter ceux des autres ; et ceux qui prennent beaucoup la parole et affirment leur position. Ce sont souvent ces derniers qui sont choisis comme porte-parole, parce qu'ils se sont le plus exprimés pendant le débat.

Le porte-parole peut également être choisi pour son charisme plutôt que pour sa capacité à synthétiser les avis du groupe. On le choisit parce qu’il est drôle et “présente bien”. Dans ce cas, l'esprit communautaire n'est pas vraiment présent : les porte-paroles débattent non pour l'idée du groupe mais pour leurs propres idées. D'une manière générale, le porte-parole a beaucoup de mal à formuler la réponse de son groupe et non sa réponse personnelle. La communauté suppose une écoute entre les participants, mais celle-ci est difficile à obtenir.

Le temps est aussi un obstacle à la réussite du consensus, si tout doit être décidé très rapidement, le groupe n'a pas le temps d'écouter chacun de ses membres, et finalement ce n'est pas la communauté qui tranche mais les quelques personnes qui ont pu s'exprimer dans le temps imparti.

Dans cette microsociété que nous formons le temps d’une soirée on voit ressortir des caractéristiques rappelant la réalité. Lors des débats on fait souvent confiance aux « experts », à ceux qui s’y connaissent le mieux dans le domaine du sujet de la question posée, on pense que du fait de leurs connaissances, ils prendront mieux les décisions qui s’imposent car ils connaissent les enjeux. Pour autant, ce ne sont pas les meilleurs pour nous représenter, parler au nom de tous et respecter les idées des autres. En revanche, il peut arriver que ceux qui ont les meilleures idées n’osent pas s’investir ou ne se sentent pas concernés.

Cela pose la question de nos agissements, nos choix, en tant que citoyen : à qui on donne la parole ? A qui fait-on confiance pour nous représenter ? Est-ce pour de bonnes raisons ?

 

            Pour aller plus loin sur ces questions de représentations et de débats d’opinions, il est possible d’aller lire un article de Pierre Bourdieu, publiée en Janvier 1973 dans la revue Les Temps modernes : L’Opinion publique n’existe pas. Il explore les analyses scientifiques, les méthodes de sondages concernant l’opinion publique et cela peut parfois faire écho au spectacle de Roger Bernat comme dans cet extrait : « L'analyse scientifique des sondages d'opinion montre qu'il n'existe pratiquement pas de problème omnibus ; pas de question qui ne soit réinterprétée en fonction des intérêts des gens à qui elle est posée, le premier impératif étant de se demander à quelle question les différentes catégories de répondants ont cru répondre. Un des effets les plus pernicieux de l'enquête d'opinion consiste précisément à mettre les gens en demeure de répondre à des questions qu'ils ne se sont pas posées. » (http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/questions/opinionpub.html).

 

Ce spectacle sans acteurs pose des questions essentielles de théâtre sur l’acte artistique et le spectacle vivant. La technologie, qui est un outil scénographique de plus en plus important dans le théâtre contemporain, dépasse ici le simple outil scénographique puisqu’elle remplace l’acteur, le comédien physique. Roger Bernat n’est pas le premier à ôter le comédien du plateau, comme en témoignent les propositions d’artistes comme le collectif Berlin. Toutefois, dans sa proposition, Roger Bernat ne se contente pas de remplacer les acteurs par la technologie, il fait participer tous les spectateurs pour créer son spectacle. On peut alors se demander jusqu’où peut aller la technologie pour remplacer les comédiens ? Jusqu’où le média peut prendre place ? Ne peut-on pas imaginer le même concept de Pendiente de Voto avec des spectateurs à distance, où chacun serait derrière un ordinateur pour répondre à ces questions-là en simultané, mais sans former de communauté physique ?

 

 

 

[2] Film allemand de Dennis Gansel, 2008.

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 13:55

Steven Cohen et Nomsa, sa nounou, lors de la représentation au  TNBA, 2012.

 

 

 

            Habitué des performances sombres aux origines de la terre et de l’humanité, de la transformation physique et esthétique, Steven Cohen affirme la couleur. Les couleurs. Le noir face au blanc, le noir avec le blanc. Le poids des traditions et l’ancienneté des traditions sud-africaines personnifiés dans la personne de Nomsa, sa nounou. Une image iconique d’un fossile, d’une Lucie revenue d’entre les morts.


Le plateau, hyper vision utopiste du monde par l’onirisme de la performance.


            C’est une apologie de la nature dans une scénographie féerique, lunaire parfois, dénonçant les agissements inhumains exercés par les hommes dans leur passé colonialiste et conquérant. Lumières froides, l’esthétisme de la performance fragile, naïve presque, immaculée. Une conception réactionnaire, par le travail de son théâtre d’image, sa pureté. L’image et les symboles sont le témoignage du passé colonialiste et ses régurgitations éternelles. Le tableau lors duquel Nomsa est sous une douche, en avant-scène, enchainée et tous soumis à une Marseillaise endiablée. Tout comme le songe d’une nuit d’été de Shakespeare est en apparence une pièce enfantine, belle, dans laquelle tout se termine bien,  quelque chose ne va pas ; le monde des fées et celui des hommes se ressemblent étrangement. Le monde des fées est hiérarchisé, cruel, très proche de celui des hommes. Le culturel s’oppose au naturel, l’ordre au désordre, la forêt est un retour aux sens ; néanmoins cette opposition n’est pas si paradoxale, en l’homme s’opposent constamment raison et instinct, le songe deviendrait alors la personnification de la dualité humaine, représentée sur la scène du TNBA par Steven Cohen et Nomsa. La présence d’un monde féerique est inquiétante, la magie, l’inconnu, les phénomènes incontrôlables font peur et ce monde devient alors diabolique, le noir et le blanc confondus, pour donner une couleur nouvelle, rituelle, à la performance.


Pour un postulat anti raciste qui amène la réaction d’un public concerné

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 Combat de nègre et de chiens, Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Michael Thalheimer.

           

Cette dualité éternelle. L’ancien et le nouveau monde. Puis par inversement de valeurs, l’ancien monde deviendra le nouveau. La thématique est abordée par de nombreux ecrivains, comme Benard-Marie Koltès, dans combat de nègre et de chien. Michael Thalheimer nous adresse son point de vue esthétique, qui passe par une distanciation cathartique en choisissant de montrer le constant refoulement du sentiment de culpabilité des peuples colonialistes, oscillant à travers un paradoxe de jeu dissociant constamment le bien et le mal, le noir et le blanc. Pour Steven Cohen, le propos est différent mais pas si distant, la performance doit remonter aux origines de l’homme et y appliquer un mélange savant de recherche scénographique et d’utilisation de matériaux modernes. L’ancien et le nouveau, ensemble, pour corroborer l’image sur scène. Il fait monter sur scène, comme une reine d’un autre âge, Nomsa, sa nounou noire de 90 ans. Mère d’Afrique, sa fragilité est touchante. Steven Cohen montre étape par étape l’enchainement de ses tableaux, maladroitement amenés parfois, pour transporter le public dans un monde parallèle introspectif et symbolique. Par la lumière, le blanc, le noir, et toute la symbolique animale et végétale. 

 

 

 

            Proche d’une esthétique du jeu de Jean Genet, Steven Cohen  mêle les identités, les races, utilisant le travestissement afin de masquer le blanc sous une caricature noire et  inversement, le noir sous une jupe blanche lumineuse. La vie dans la compréhension de l’alter égo dans sa nudité, quel que soit sa couleur de peau. Le jeu de Jean Genet est aussi dérangeant ; il fait face à la société en la considérant comme un grand corps nu que l’on déguise comme le menteur déguise la vérité avec des mensonges. La métamorphose kafkaïenne du blanc impur, homosexuel, juif. L’arrivée subite du fantôme noir, vieux, fatigué et ne signifiant plus grand-chose dans un monde capitaliste aveugle et déraciné.

 

 

Ivan Camus

 

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