Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
PRODUIT DE CIRCONSTANCES (1999)
Le 21 janvier à 19h - à la Maison des Arts
Une proposition de et avec Xavier Le Roy
Lecture-performance de Xavier Le Roy, Produit de circonstances retrace à la manière d'une conférence scientifique (vocabulaire, statistiques, graphiques et images commentées à l'appui) les circonstances autobiographiques qui l'ont amené à se détourner de ses recherches en biologie moléculaire et cellulaire pour se consacrer à des travaux chorégraphiques. Devenir danseur pour déconstruire le corps comme on cherche à percer les secrets du vivant. Interprète désarticulé dont les muscles semblent vivre indépendamment les uns des autres, Xavier Le Roy, dans cette foisonnante odyssée, est l’homme en métamorphoses, dont le corps cherche sans cesse à s’évader de lui-même. Un corps dont il met en question l'identification, dont il brouille la perception, et qu'il travaille comme nécessité critique face aux modèles de corps dominants produits par la danse contemporaine et les démarches scientifiques. Un corps, véritable laboratoire d'expérimentation, qui se mue en matière brute pour sonder l'organisation sociale et culturelle.
Synopsis
Circonstances: "J’ai commencé par prendre 2 cours de danse par semaine au moment où je débutais mon travail sur ma thèse pour mon diplôme de docteur en biologie moléculaire et cellulaire. Ca fait maintenant 8 ans que j’ai présenté ma thèse et arrêté de travailler en tant que biologiste. Depuis que je travaille comme danseur ou chorégraphe je suis très souvent présenté comme un danseur atypique ou comme un danseur—biologiste moléculaire. C’est devenu monnaie courante dans la "Société du spectacle". J’ai été invité à préparer et présenter une conférence pour un événement sur la théorie et la praxis dans la performance (Body currency Wiener Festwochen juin 98 )…"
Produit: Biographie comme théorie. Une conférence autobiographique qui devient une performance. Mon corps comme matière brute de l’organisation sociale et culturelle et comme la pratique de la nécessité critique.
(Texte issu du site web du groupe In Situ Productions)
Parallèlement à son cursus de biochimie, Xavier Le Roy commence à prendre des cours de danse. "Ces différences d'univers m'ont fasciné. Plus tard, quand j'ai poursuivi mes activités de biologiste en laboratoire, moi qui voulais me consacrer à la recherche pure, j'ai été consterné en découvrant quelles limites mercantiles on imposait à mes travaux, quelle énergie se dépensait à devoir prouver sa productivité par des publications se faisant au détriment de la recherche même. Cette frustration m'a fait bientôt abandonner. Avec la danse, j'allais me retrouver libre, avec face à moi un champ d'investigations infini, des marges de manoeuvre bien plus considérables ", déclarait-t-il à Raphaël de Gubernatis, dans l'entretien qui lui accordait en mars 2002 pour le Nouvelobs.com. Il obtient sa thèse en biologie moléculaire et cellulaire en 1990 et s’installe à Paris où il prend des cours de danse avec Ruth Barnes et Anne Koren. Cette première pratique sera la base de Products of circumstances, une conférence performance dans laquelle il met en scène cette période de jonction entre deux approches du monde, deux langages, deux systèmes de conventions. De 1991 à 1995, il danse avec la compagnie de l’Alambic. Après avoir travaillé avec le groupe Detektor à Berlin de 1992 à 1997, il entreprend des recherches personnelles qui le conduiront à collaborer avec le musicien A . Birntraum et le designer lumière Sylvie Garot ainsi que le groupe Kwatt. Suivront des projets collectifs et des collaborations avec, entre autres, Meg Stuart, Christine De Smedt, David Hernandez et Danças Nacidade. Entre 1999 et 2005, il crée des pièces avec Jérôme Bel, Eszter Salamon, collabore avec Yvonne Rainer, notamment.
Xavier Le Roy est actuellement artiste associé au centre National Chorégraphique de Montpellier. La relation entre la science et la danse est explorée dans la manière dont ces deux disciplines élaborent des systèmes de conventions qui induisent des représentations différentes. Il déconstruit les représentations communes du corps en construisant « des situations qui le font cesser d'être ce qu'il a été et devenir ce qu'il n'était pas» - selon le mot de la cinéaste américaine Yvonne Rainer.
" Le devenir est-il une transformation de la ressemblance ? "
" La question du temps est l’enjeu primordial quand on essaie de faire changer les perceptions et représentations des corps. "
" Le spectacle de danse est un produit à durée limitée ", dit-il.
(d'après le site web de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Lyon et l'entretien intitulé Le Roy du corps,disponible sur le site Nouvelobs.com)
SELF UNFINISHED (1998)
Les 22 et 23 janvier à 20h30 au TNT
Une proposition de et avec Xavier Le Roy
D'après une collaboration avec Laurent Goldring
Musique : Diana Ross
Dans son célèbre solo, Xavier Le Roy plie son corps de façon à montrer que celui-ci possède une histoire cellulaire, son corps se métamorphose en temps réel. Une chaise, un bureau, une bande sonore qui ne démarre pas. Un danseur, en chemise, imite, avec de forts bruitages, le déplacement d'un robot. Un propos fort compréhensible, voire conventionnel, avant que la pièce de Xavier Le Roy ne bascule dans un saisissant espace mental. Cul par dessus tête, le corps de danseur se métamorphose en temps réel en une série d'aberrations morphologiques hallucinogènes, les images d'un organisme qui reconstitue sa forme suivant des lois inconnues et selon un rythme inquiétant et inhumain. Il fait de longues stases, des déplacements infinis et commence à ramper brusquement.
"Montrer le corps en perpétuel changement, jusqu'à le rendre méconnaissable, c'est mettre ainsi en doute la véracité de ce que nous croyons voir. Quand mes quatre membres n'apparaissent plus que comme deux paires de jambes, quand le tronc perd sa raison d'être, c'est toute la représentation du corps qui est en jeu. La stratégie n'est pas de créer l'illusion. Au contraire! Sous la lumière crue des néons, je veux gommer tout mystère. L'illusion naît d'elle-même, quand nous sommes confrontés à quelque chose de subitement inconnu qui bouleverse la perception très hiérarchisée que nous avons des parties du corps. Ce qui m'intéresse, c'est la gamme des perceptions nouvelles qui se dégagent lors de cette opération, différente selon les cultures. J'ai le souvenir d'avoir présenté le solo "Self-Unfinished", à Moscou, devant un public hilare du début à la fin. Puis à Singapour dans un silence absolu. C'est cette variété d'appréhension qui me passionne", déclarait-t-il à Raphaël de Gubernatis, dans l'entretien qui lui accordait en mars 2002.
Xavier Le Roy cherche ainsi "à questionner les représentations du corps, examine le point de croisement entre "avoir" un corps et "être" un corps. Que peut un corps ? Le corps semble ne plus être capable de soutenir l’inscription des messages, mais devient plutôt une chose décomposée qui se transforme continuellement en fonction du point de vue. Et le corps de Xavier Le Roy semble bien avoir un centre visible, mais pas de tête. Il s’agit évidemment d’une illusion - c’est exactement la tête qui fait bouger cet organisme au sens physique ou mental ", affirme Lilo Weber, du Neue Zürcher Zeitung.
(d'après les sites web du TNT du festival Les Intranquilles)
Pour finir, en complément de réflexion sur le spectacle, une petite excursion biologique...
L'ontogenèse ("ensemble des processus qui, chez un organisme animal ou végétal, conduisent de la cellule oeuf à l'adulte reproducteur", selon le CNRTL) a été reliée à la phylogenèse ("formation et développement des espèces vivantes au cours des temps"; et par métonymie, "étude de ce processus", selon le CNRTL) par la célèbre loi de Haeckel formulée vers 1874: "l’ontogenèse récapitule la phylogenèse". Ainsi, selon cette théorie (basée principalement sur l'observation anatomique et morphologique d'embryons chez diverses espèces de Vertébrés) les organismes revivraient, au cours du développement embryonaire, leur histoire évolutive (ou remonteraient leur propre arbre généalogique); cette théorie permettait donc d'affirmer que tous les Vertébrés avaient une ascendance commune.
(Image issue du site web sapiensweb.free.fr)
...et une petite incursion psychanalytico-philosophique:
" Dans son dernier ouvrage – sous-titré «de quelques conséquences, actuelles et futures, de la mort de Dieu » - Dany Robert Dufour nous dit sa préoccupation de la désymbolisation du monde : «On ne peut, sans grand dommage, évacuer la question de Dieu » dit-il. Utilisant la théorie de la néoténie qui, comme nous le montre Freud, fait de l’infans, un être prématuré et donc dépendant, il nous rappelle que, chez l’homme, l’aptitude à la croyance est une condition nécessaire du processus de subjectivation [...].
La néoténie désigne, en biologie, un manque dans la nature de l’homme, un inachèvement à la naissance qui le rend incapable de subvenir à ses besoins. Son développement –physique et psychique confondus- nécessite un long travail de socialisation qui se fonde de l’aliénation à l’Autre. L’humanisation de l’homme consiste donc à s’adjoindre une seconde nature, en relation à des êtres symboliques qui ne sont que fictions. C’est la croyance qui, constituant cette seconde nature, remplace les organes défaillants par la création prothétique de la re-présentation, et permet à l’homme de se réapproprier, dans un second temps, par la parole, son manque originel de présence au monde.
« Le néotène ne peut se croire ici, dans le présent, que si un autre est là ». Dany Robert Dufour s’appuie sur la thèse lacanienne selon laquelle l’homme ne peut se penser comme sujet qu’en se référant à un Autre. Aussi nous interroge-t-il quand, dans notre monde, où croît le narcissisme de masse, apparaissent les nouvelles pathologies de parlêtres dépressifs, proches de la psychose, en proie à l’unglauben freudien.
L’auteur d’On achève bien les hommes pense que l’espèce humaine pourrait en finir un jour avec sa condition ancienne d’aliénation à l’Autre. Deviendrons-nous naturellement autres, en échappant, aux moyens des technosciences, à la néoténie ? Ou bien, sommes-nous déjà dans une ère de mutation, ère désymbolisée annonçant la post-humanité ?"
Guy Rousseau / novembre 2005
(Texte issu du site web centreguenouvry.free.fr)
Pour aller plus loin:
- sur On achève bien les hommes, voir le site web:
http://www.freud-lacan.com/articles/article.php?url_article=pdanhaive020705
- sur les productions de Xavier Le Roy, voir le site web de In situ productions :
http://www.insituproductions.net/enter.html