Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Spectacle créé et présenté au Glob Théâtre du 12 au 23 février 2008
(Retranscription d'un entretien avec Jean-Luc Ollivier, metteur en scène réalisé par Xavier Quéron et accessible depuis http://www.globtheatre.net/i/upload/23.pdf)
Deux ans après le Triptyque des Voluptés, sa dernière création, Jean-Luc Ollivier revient plus d’attaque que jamais avec un texte mordant et réjouissant de Mohamed Kacimi. Un spectacle poétique et politique contre l’acharnement prosélyte.
LE GLOB : Bonjour Jean-Luc Ollivier. Peux-tu nous résumer, en quelques moments clefs, ton parcours artistique ?
Jean-Luc Ollivier : Tout commence à l’IUT d’animation de Bordeaux dans les années 80. Nous fondons [avec Bruno Lecomte et Martine Pont] une compagnie de théâtre universitaire. Nous nous professionnaliserons dans les années 90, avec la création de la compagnie Théâtre à Coulisses. Pour ma part, je suis venu à l’univers du théâtre par les arts plastiques auxquels je portais une attention toute particulière, la peinture, et le dessin surtout. Et puis , il y a la rencontre de fortes individualités qui « fabriquaient » le théâtre dans ces années-là : Jean-Pierre Nercam, qui fut une rencontre décisive, et Jacques-Albert Canque et le Groupe 33, où j’ai officié comme comédien et assistant metteur en scène.
Pour ce qui est de mon travail, je distingue deux périodes. Jusqu’en 1995, il était surtout basé sur l’adaptation d’auteurs de théâtre contemporais, en particulier étrangers. Puis vint La Couleur de l’Homme qui File [dans le cadre de feu-le festival Sigma] qui marqua un tournant dans ma manière et mon envie de fabriquer le théâtre.
LE GLOB : Après une série de créations dont l’écriture privilégiait la recherche esthétique (La Chambre des Visions, le Triptyque des Voluptés), La Confession d’Abraham marque un retour au texte comme trame narrative. Qu’est-ce qui dans le texte de Kacimi t’as séduit, de façon que le texte réintègre aussi pleinement ton travail ?
Jean-Luc Ollivier : Je ne dirais pas cela, tout est plus complexe. Pour moi, texte et esthétique ne sont pas deux pistes de travail séparées, même si l’une est parfois plus privilégiée que l’autre et que je ne les traite pas sur le même plan. Toute mesure gardée, l’esthétique est aussi un langage. J’essaie d’en créer un nouveau en me basant sur ces fondamentaux, en allant vers une « esthétique poétique ».
Cela faisait trois ans que le texte de Mohamed Kacimi me trottait en tête. Il m’apparaît comme singulièrement fulgurant. C’est un texte qui parle excatement de ce dont il faut parler aujourd’hui, et il le fait avec une rare pertinence. C’est presque du théâtre-forum, un texte dont on parle en sortant du spectacle, qui provoque la réflexion et le débat. C’est aussi un texte qui s’attaque au coeur, à la fondation du mythe, et par là-même, il interroge les croyants comme les agnostiques ou les athées. C’est ce que je considère comme le droit pour tous d’ « interroger le mythe » et de pouvoir exprimer sa pensée.
La plus grande qualité de ce texte, c’est la manière qu’il a de dire les choses. L’humour vient toujours nous rappeler qu’il faut rester intelligent, sinon on se fait happer.
LE GLOB : Tu es donc très sensible à la question de la ressurgence des fondamentalismes religieux, et à l’ampleur qu’ils peuvent prendre dans le contexte actuel.
Jean-Luc Ollivier : Ca me fait peur [silence]. C’est un vrai danger, sans doute l’un des plus grands du monde actuel. Le fondamentalisme, toutes religions confondues, que l’on évoque les islamistes ou les évangélistes, touche la pensée. C’est une idéologie brutale qui contraint l’individu à une certaine vision du monde. Les religieux « durs » ne veulent pas simplement contrôler le monde, ils veulent contrôler l’imaginaire. Il n’y a plus de place pour l’intime. Je trouve que c’est absolument totalitaire. Qu’on ne s’y trompe pas, ça ne m’empêche pas d’avoir un respect total pour les croyants.
LE GLOB : Comment s’est passée ta rencontre avec Mohamed Kacimi ?
Jean-Luc Ollivier : Très bien. Le texte a été monté une première fois en 2000 à Avignon, avec une certaine résonnance, puis il a pas mal tourné dans le Sud Est et en Région Parisienne. Mais depuis, les compagnies ne se sont pas bousculées, ce qui est plutôt étonnant pour un texte de cette qualité. Il était donc plutôt content que je lui propose d’en créer une nouvelle version, même si dans un premier temps il a été surpris que je souhaite y intégrer une dimension chorégraphique.
LE GLOB : La Confession d’Abraham est la relecture irrévérencieuse d’un épisode de la Bible. Comment Mohamed Kacimi s’est-il approprié cette mythologie ?
Jean-Luc Ollivier : Tout d’abord en redonnant un rôle central au personnage de Sarah, la compagne d’Abraham. Abraham lui est absolument lié. Kacimi rétablit l’égalité de l’homme et de la femme devant Dieu. Et puis cela contribue à rendre le personnage d’Abraham moins « extraordinaire », moins « patriarche » sans vie intime, bref, à le rendre plus humain, et donc plus proche de nous. D’ailleurs, la notion de « personnage » elle-même est parlante. En faisant d’Abraham un personnage de fiction théâtrale, Kacimi le démystifie, rend son image, ou du moins le fantasme de son image de « Père de l’Humanité » moins écrasante. Du coup, sorti de son contexte purement religieux, on l’écoute plus, on entend meiux son désarroi. A travers ce personnage, Kacimi nous rappelle que l’obéissance aveugle peut être dangereuse, que l’homme doit toujours conserver son libre-arbitre. Je dirais que Mohamed Kacimi, l’air de rien, fait d’Abraham un appel à la révolte individuelle contre l’Arbitraire.
LE GLOB : Pour interprèter le couple Abraham/Sara, tu as fait appel au comédien et metteur en scène Jack Delbalat [ qui fut, entre autre, membre du collectif Fartov qui fit les beaux jours de Sigma ] et à la chorégraphe et interpète Muriel Barra [de la compagnie MUTiNE]. Qu’est-ce qui a dicté tes choix de distribution ?
Jean-Luc Ollivier : L’instinct. J’avais déjà travaillé avec eux, j’ai senti qu’ils seraient dans la bonne « musique ». Jack Delbalat me semblait le plus à même d’incarner ce mélange de présence et de fragilité pour Abraham. Muriel Barra était un choix logique. Il correspond à la poursuite d’un compagnonnage. Et puis il y avait cette envie de faire de Sara un personnage très présent physiquement, la danse m’a semblé le langage tout indiqué. C’est aussi, symboliquement, représenter la femme sur le plateau dans toute sa réalité, dans toute sa « chair » - ce qui, dans un spectacle qui aborde la religion, va contre la négation de la femme dans sa dimension sensuelle, charnelle dans les pratiques religieuses les plus rigoristes.
LE GLOB : La scénographie est à la fois épurée et très évocatrice, avec la présence de la pierre et de la terre.
Jean-Luc Ollivier : Je voulais que la scénographie fasse sentir les matières, plus que les illustrer littéralement. J’ai voulu créer une scénographie très géométrique, qui évoque beaucoup avec très peu d’éléments. Je veux qu’avec un mètre carré de pierre sur le plateau, le spectateur puisse voyager dans tous les déserts d’Arabie.
« Je dirais que Mohamed Kacimi, l’air de rien, fait d’Abraham un appel à la révolte individuelle contre l’Arbitraire. »
Propos recueillis par Xavier Quéron