Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
C’est l’histoire d’un garçon russe qui naît dans une ville fermée secret défense sur la Volga. Nous sommes dans les années 70, époque Brejnev, une vie sans oxygène, sous couvercle, de l’autre côté du rideau de fer, le temps des zastoi (stagnation). Le garçon découvre le monde et la France par la lecture, son seul moyen de voyager. Il lit tout, y compris les auteurs « déconseillés » par le parti, comme Flaubert, Maupassant… et aussi Rimbaud, en cachette. Il écoute les chansons de Montand et de Brel dans le secret d’une cave et le rock and roll, sur les os, ces disques de contrebande, gravés sur des radios médicales de squelette humain. Dix ans plus tard, années 80, époque Gorbatchev. C’est la perestroïka, le monde imaginaire enfin accessible. Grâce au théâtre et à l’amour, le garçon découvre enfin la France, ses odeurs, ses couleurs et sa langue. Et dans le regard des autres, il se découvre « Russe ». C’est un voyage à double sens. En approchant le monde rêvé, on se retrouve soi-même, on comprend d’où on vient. Et si ce qu’on avait quitté était aussi un monde rêvé... Pour les autres. Pour les « Français ».
Le russe sans douleur est une méthode qui existe et en même temps qui n’existe pas. C’est la méthode d’apprentissage des différences. Plus on apprend, moins on comprend, plus on ressent cette part d’inconnu, d’étranger, cette zone pour toujours étrangère et incompréhensible, qui peut faire peur, qui peut faire mal. Simultanément, on se connaît mieux à mesure qu’on accepte ce qu’on ne sait pas, qu’on n’en saura jamais davantage avec cette méthode. Une conscience naît, un humour et un plaisir profond apparaissent. Sorte de lâcher prise, propice à la création.
Chants, souvenirs, rêves, anecdotes, contes, recettes de cuisine, poèmes. Présence de nos morts, rencontre avec les vivants, objets bien réels qui nous transforment en témoins d’un moment, d’une époque, d’un rêve.
Anton Kouznetsov
Biographie d'Anton Kouznetsov:
Peut-être parce qu'en Russie la vie est plus précaire qu'ailleurs, parce que le théâtre dans ce pays imprévisible fait partie de la vie comme nulle part ailleurs, parce que tout simplement pour ne pas sombrer, Anton Kouznetsov préfère déborder d'énergie – l'homme russe est volontiers excessif. Ce potentiel, il le communique à tous ceux qui l'entourent, à commencer par les acteurs qui lui sont proches.
Acteur il le fut lui-même dans le plus célèbre spectacle de son maître Lev Dodine, Gaudeamus, après avoir été son élève acteur et metteur en scène à l'école de théâtre de Saint Petersbourg. Il fait partie de cette génération qui a eu vingt ans avec laperestroïka.
Gaudeamus fit le tour du monde, Anton aussi, mais son destin devait le conduire à entretenir une relation privilégiée avec la France. C'est comme un conte russe. Anton est un fils de Saratov, grande ville de la Volga. Dans cette ville on fonda, il y a très longtemps, un théâtre avec à sa tête un directeur dont la femme était une française, détail qui n'a pas échappé à Alexandre Dumas, le plus célèbre des voyageurs français en Russie. Le temps passa. Deux siècles au bas mot. Et un jour, on proposa à Anton Kouznetsov d'être le directeur de ce théâtre, le théâtre dramatique de Saratov. Il accepta. Il fit de ce théâtre fatigué une maison vivante, où des ateliers de décors au cordonnier, on travailla comme jamais. Il fit aussi de ce théâtre un pont privilégié avec la France, invitant des metteurs en scènes, montant des auteurs français. Le conte continuait.
Mais la Russie mercantile et véreuse de Poutine n'est pas un pays où les fées veillent sur les contes. Il y a un an, on vira Anton de son théâtre. On ferma l'école de théâtre qu'il y avait ouverte. On lui conseilla de quitter la ville s'il ne voulait pas lui arriver malheur. Il résista autant qu'il pu. Et puis il partit en France avec sa troupe de jeunes acteurs. Que fit-il ? Il monta un spectacle, puis un autre, en fomenta un troisième. Le théâtre ne nourrit pas cet homme, mais c'est la seule nourriture que connaisse Anton Kouznetsov. Il ne sera jamais rassasié.
Pour revoir les premières minutes du spectacle, http://www.dailymotion.com/video/x3zmkl_le-russe-sans-douleur_creation