Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
HEDDA GABLER
De Henrik Ibsen
Mise en scène Thomas Ostermeier
Avec Lars Eidinger, Katharina Schüttler, Lore Stefanek,
Annedore Bauer, Jörg Hartmann, Kay Bartholomäus Schulze
Au sein de la magistrale œuvre dramatique du Norvégien Henrik Ibsen (1828-1906), Hedda Gabler (1890), pièce en quatre actes, occupe une place centrale avec Maison de poupée (1879). Elle relate le destin d'une femme qui n'a pas su donner un sens à son existence. Une tragédie de la désillusion.
L'année 1890, où il publie Hedda Gabler tout en émergeant d'une attaque d'apoplexie, Henrik Ibsen note dans son carnet : «La vie n'est pas triste. La vie est ridicule. Et ça, c'est insupportable.» Séjournant en Allemagne et en Italie, avec l'impression de n'avoir désormais plus peur de rien, il se rappelle combien il a pu, «indescriptiblement», s'ennuyer dans son propre pays, «là-haut» (en Norvège) : d' «un ennui qui diluait l'esprit, rongeait la volonté, détruisait le talent».
D'après le site web universalis.fr et la critique de Mathilde La Bardonnie intitulée Ibsen, bouquet de sang, parue le 3 février 2007 dans Libération, 3 février 2007.
Entretien avec Thomas Ostermeier autour d'Hedda Gabler: analyse d'une destruction programmée
Pourquoi Hedda Gabler a-t-elle a épousé Tesman, historien terne et besogneux? Que cherche-t-elle avec Lövborg, son amour d'antan, brillant esprit autrefois débauché, qui a retrouvé le chemin du succès ? D'où vient ce vertige de destruction qui l'habite et la pousse jusqu'au suicide ? Sans doute ses rêves drapés de satin doré se sont-ils abîmés contre la réalité dégrisée de l'existence? Après Nora, Thomas Ostermeier, directeur de la Schaubühne, revient à Ibsen avec Hedda Gabler. Il dissèque à vif ce drame écrit en 1890 pour faire entendre l'angoisse de la déchéance sociale qui hante la société d'aujourd'hui.
La décision de mettre en scène un texte du répertoire a toujours été liée chez vous au lien que vous pouvez établir avec notre époque. Qu'en est-il pour Hedda Gabler ?
Cette pièce évoque pour moi le dilemme entre carrière et famille auquel les femmes sont souvent confrontées, surtout en Allemagne. Beaucoup choisissent d'épouser un homme friqué et de rester à la maison, aspirant au bien-être et à la quiétude illusoire d'une position économique confortable. Hedda Gabler, éprise d'un idéal de beauté et de grandeur, espérait une vie agréable et pensait trouver dans le mariage les moyens de ses ambitions. Elle se retrouve coincée dans une existence étriquée qui l'ennuie mortellement. Pourtant, au moment où elle s'engage dans cette voie, elle pressent - voilà son drame - l'erreur, le leurre, le gâchis, mais elle n'a pas le courage de quitter cette route. Elle cherche alors à prendre le pouvoir, à coups d'intrigues, de jeux troubles de séduction et de manipulation. Par son obsession destructrice, exacerbée par la désillusion et le désoeuvrement, elle brise les murs de sa prison en même temps qu'elle se détruit elle-même.
Hedda a également un rapport très trouble au réel : elle semble presque le nier tant elle voudrait vivre dans son monde idéalisé. Comment avez-vous appréhendé cet aspect ?
Je conçois la mise en scène comme une exploration du réel qui révèle ce qui se joue au-delà de l'image superficielle. En ce sens, le réalisme consiste à dévoiler l'intériorité masquée derrière la façade. Si mon approche scénique utilise des effets de réel et s'appuie sur un langage réaliste dans un espace concret, elle tente de restituer la perspective intérieure des personnages. La pièce d'Ibsen m'intéresse parce qu'elle pénètre dans la réalité de la relation homme-femme et dans la cage d'or que constitue la famille bourgeoise. En dépit de leur apparente amabilité, les rapports humains n'existent presque plus dans ce monde très froid. La bombe est à l'intérieur même du système, dans le couple.
La société bourgeoise est un terrain d'exploration que vous abordez souvent. Un univers somme toute sociologiquement proche du public de la Schaubühne de Berlin...
Avec Nora ou Hedda Gabler, pièces de la grande époque du réalisme bourgeois dans les « drames de société » d'Ibsen, je peux interpeller le public là où il se situe socialement et exprimer mon regard sur notre temps. Les spectateurs peuvent se sentir de plain-pied dans les décors très design mais, peu à peu, ce monde explose et révèle, de façon peut-être plus tangible, les peurs et les mécanismes sociaux très brutaux de la société actuelle.
Extrait d'un entretien réalisé par Gwénola David-Gibert, paru dans le n°144 du mensuel La Terrasse, janvier 2007, disponible sur le site web .
Il nous faut un nouveau réalisme...
"La mission du théâtre est d'aiguiser la conscience du malheur des autres.
Raconter l'échec des individus face à la société, aujourd'hui, ici et maintenant.
Le théâtre politique de la génération de 1968 est mort.
Ce qui relie le théâtre au monde, c'est l'auteur.
Le coeur du réalisme est la tragédie de la vie quotidienne."
Extrait du manifeste de Thomas Ostermeier, publié en 1999 lors de son entrée en fonction à la tête de la Schaubühne et exposé à la Maison Jean Vilar, lors du festival d'Avignon 2004, dont il était l'artiste associé.
Pour aller plus loin, voir également:
http://www.theatre-contemporain.net/biographies/Thomas-Ostermeier/
http://www.arte.tv/fr/art-musique/Hedda-Gabler/1167744.html
http://www.celestins-lyon.org/index.php?id=163 avec notamment un extrait vidéo du spectacle.