Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Spectacle présenté au Théâtre des Quatre Saisons le 28 novembre 2008
Présentation du Théâtre des 4 Saisons :
Considéré comme précurseur du mouvement surréaliste et du théâtre de l’absurde, Ubu roi est une œuvre désormais classique. Sa grossièreté, le « merdre » initial, son mélange des genres, son décalage entre le caractère des personnages et leurs positions sociales (Père Ubu et Mère sont quand même roi et reine), fait ressortir la puissance grotesque, la provocation, la farce de potache. Et on y lit aisément une critique du pouvoir, l’amusement de la bassesse de l’instinct, la force de la dérision qui contribue à fonder la comédie.
En se confrontant seul à un grand nombre de personnages, qui n’apparaissent certes pour certains qu’un court instant, Vincent Nadal a souhaité se hisser à la mesure de la démesure de la pièce. Théâtre d’objets, manipulations, détournements, générosité du jeu, la mise en scène et le jeu de Vincent Nadal font honneur à la pataphysique d’Alfred Jarry en déconstruisant le réel pour le reconstruire dans un absurde comique, jouissif et poétique.
Note d'intention de Vincent Nadal :
Ubu roi est une œuvre désormais considérée comme classique. On y lit aisément une critique du pouvoir, l’amusement de la bassesse de l’instinct. On en ressent la puissance grotesque, la force d’invention. Mais c’est aussi une œuvre habitée d’une intention.
Pour ma part, quand je lis UBU ROI je lis un manifeste, un projet de vie.
Alfred Jarry agite la langue pour rappeler qu’aucun mot n’est banal. Il théâtralise le théâtre parce que pour lui la représentation n’est pas un événement quelconque, quotidien. Il échappe à la vraisemblance pour atteindre une vérité. Il ne juge pas, il affirme ce qu’il croit.
Il y a certes quelque chose de volontaire dans cette intention, tel le harcèlement dont Lugné-Poè a fait l’objet pour qu’il laisse Jarry monter UBU ROI au Théâtre de l’Oeuvre. Mais cette détermination est terriblement naïve, enfantine, aussi généreuse que salutaire.
J’ai choisi de mettre en scène et de jouer UBU ROI pour cette dualité-là : une œuvre qui génère de la sympathie, mais qui peut encore surprendre.
Jouer seul UBU ROI : me hisser immédiatement à la mesure de la démesure de la pièce.
Sur scène, je place un frigidaire, des animaux empaillés, des vêtements, et je joue avec, je les manipule, je les détourne de leur usage habituel.
Sous l’impulsion du texte, je deviens « acteur-ubu ». Telle une performance, UBU ROI n’est pas en dehors de moi ; c’est moi. Je suis Père Ubu, Mère Ubu. A travers moi, ils inventent leurs mots, animent les personnages indispensables à l’exécution de leur projet, jouissent de la présence des témoins que sont les spectateurs.
Alors, surgit un être poétique qui dévore, digère et excrète tout ce qui est à sa portée.
Lorsque Louis Calaferte écrit « vivre, être la vie. Se saisir du monde, comme d’un bien personnel, et en jouir librement. Se gonfler, s’épuiser de vie et arriver nu jusqu’à Dieu. Dieu qui n’est peut-être que l’extrémité de soi », il me parle de qui est Ubu. Un être de désir.
Article de Sud-Ouest :
C’est fou ce que les objets ont des choses à dire. Un vieux frigo, un téléphone, un vêtement, voire un animal empaillé, ont des ressources inépuisables pour peu qu’un acteur sache les prendre. A tous les sens du terme. Vincent Nadal est de ceux-là, acteur formé au Conservatoire de Bordeaux, élève de l’Ecole supérieure de la marionnette de Charleville-Mézières, membre du groupe Anamorphose qui, depuis sa création, explore tous les registres du merveilleux. Avec « Si j’étais roi », petite forme élaborée tandis que la compagnie travaillait en résidence au CDN de Bordeaux, Vincent Nadal est parti d’une proposition simple : jouer seul « Ubu roi ». A l’arrivée, il a changé le titre par souci d’intégrité, mais c’est bel et bien du père et de la mère Ubu qu’il s’agit, et de tous les personnages qui entourent le couple mythique dévoré de pouvoir.
« Je prends la parole pour tout le monde », dit le comédien, « L’idée étant que père et mère Ubu organisent un univers censé assouvir leurs fantasmes. Quant aux autres, ils sont incarnés par des objets que je manipule. Il me semble que la capacité qu’on a à s’investir dans les objets peut suffire. Je me suis attaché à montrer la qualité de la relation aux personnages à travers la manipulation. Du coup, ça raconte quelque chose au-delà du jeu psychologique et cela accentue le grotesque ». Il est vrai qu’avec Jarry, on est servi. L’homme qui réinvente la parodie et l’artifice du théâtre n’aurait sans doute pas été offusqué d’une manipulation d’objets. Surtout au détriment des comédiens. « Au contraire » précise Vincent Nadal, « La manipulation de marionnettes ou d’objets doit être au service de l’acteur et du public. Ce qui compte, c’est la parole de l’acteur ».