Spectacle présenté au TnBA du 7 au 11 février 2012
© Tim Wouters1
Arthur Schnitzler naît en 1862 à Vienne. Johann Schnitzler, son père, laryngologue réputé, avait pour clients des comédiens et des cantatrices, qui donnèrent très tôt au jeune Arthur le goût du théâtre. À treize ans déjà, il avait écrit près de vingt pièces dans différents genres. Après avoir étudié la médecine et la psychiatrie, il obtient son doctorat en 1885 et travaille à l'hôpital général de Vienne. Il finit par abandonner cette carrière pour se tourner vers l'écriture, contre la volonté de son père. Arthur ne devient alors réellement écrivain qu'à trente et un ans, à la mort de celui-ci, en mai 1893. Il est l'auteur de pièces de théâtre, de nouvelles et de romans. Son univers onirique le rapproche des théories freudiennes. Celui-ci disait d'ailleurs : « Je pense que je vous ai évité par une sorte de crainte de rencontrer mon double ». Ses œuvres ont été très controversées, notamment en raison de leur description franche de la sexualité et de leur opposition à l'antisémitisme . Schnitzler a en effet une écriture qui va chercher en profondeur la psychologie de ses personnages et qui permet de saisir de manière aigüe toutes les pensées les plus cachées d'un individu.
Le collectif belge tg STAN, formé en 1989, composé aujourd'hui de dix membres permanents, fut fondé par quatre acteurs diplômés du Conservatoire d'Anvers en 1989 : Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Waas Gramser et Frank Vercruyssen. Ils ne voulaient pas entrer dans une compagnie régie par la tyrannie d'un metteur en scène. En tant qu'acteurs, ils refusent toute hiérarchie et préfèrent se placer eux-mêmes au centre de leur démarche. Leur nom, S(top) T(hinking) A(bout) N(ames), traduit un rejet de tout dogmatisme. L'absence de metteur en scène renforce une grande unité entre les acteurs, qui leur permet de transmettre un message social ou politique fort. En effet, leur répertoire varié, qui va de Cocteau à Ibsen en traversant Anouilh et Wilde, marque leur démarche contestataire. Ils vont également à l'encontre d'une certaine forme de théâtre et privilégient la destruction de l'illusion théâtrale, le jeu dépouillé, et l'engagement rigoureux vis-à-vis du personnage et de ce qu'il a àraconter. L'absence de hiérarchie fait que le travail est réellement collectif. C'est donc vraiment un travail de discussion qui part du texte, et pas d'improvisation sur le plateau. Jolente de Keersmaeker explique ainsi : « Le spectacle se fait vraiment autour de la table. C’est seulement deux semaines environ avant la première qu’on commence à faire des répétitions de texte. Une semaine avant de jouer, on monte sur scène »2.
Pièce écrite en 1904 et créée en novembre 2009 (pour la version française) par tg STAN, Le Chemin solitaire fut suivi d'une grande polémique à l'époque car la pièce aborde l'adultère d'une mère avec le meilleur ami de son mari. Beaucoup de pièces ou de nouvelles, notamment La Ronde, étaient critiquées pour leur manière de décrire la sexualité. Très vite pourtant, l’émotion nous saisit devant le destin de Julian Fichtner. Ce célèbre peintre revient dans sa ville natale. Jadis, il a fait un enfant à la jeune fille qui lui servait de modèle, avant de choisir la liberté et de mener une vie égoïste tournée vers l’art et le plaisir. Cette jeune fille était fiancée à Wegrat, un ami de Julian, qui a élevé l’enfant comme le sien. Apprenant la mort de cette femme qu’il a aimée, Julian veut révéler la vérité à Félix, le seul enfant qu’il ait eu. Mais celui-ci, jeune officier de vingt-trois ans, n'est pas forcément prêt à entendre cette vérité. Julian n’est pas le seul à jeter un regard rétrospectif sur sa vie. Il y a aussi Irène, comédienne et ancienne maîtresse du peintre, restée célibataire, Von Sala, l’écrivain qui prépare une expédition pour l'Asie, Johanna, une jeune fille qui rêve de partir loin, Reumann le médecin, etc. Dès lors, le voyage que projette Félix devient le symbole de la quête des personnages : chercher dans le passé le sens de leur destinée. Le sujet de ce texte n'est pas un conflit entre plusieurs personnes : l'auteur nous livre leur psychologie et cerne peu à peu le désarroi des êtres.
Sur la scène se trouve un grand tapis blanc où sont éparpillés divers appareils électroménagers : cafetière, micro-ondes, grille-pain, bouilloire... Parmi tous ces éléments du quotidien se trouvent un broyeur rouge, objet inattendu, dans lequel un des acteurs mettra sa tête. Cette scénographie s'appuie sur des éclairages de couleurs différentes tantôt vives, tantôt sombres, qui changent la couleur de peau des acteurs, comme sur les photos ci-après. Parfois le public est éclairé à la place des acteurs. Des musiques variées sont très présentes, que ce soit en ouverture avec une musique psychédélique, pendant les changements d'acte ou avec le tourne-disque présent sur scène. Dès son entrée, le spectateur est confronté à un plateau démuni de pendrillons à Cour et à Jardin, ce qui laissait voir les poutres, les cordes et le mur du TnBA.
© Tim Wouters
© Tim Wouters
Cinq acteurs interprètent tour à tour les huit protagonistes. Il suffit que les acteurs s'échangent une simple veste ou une sacoche pour faire comprendre qu'ils interprètent un autre personnage. Ces changements sont vifs et inattendus et peuvent survenir en interrompant une réplique. Les acteurs peuvent jouer de ces changements en s'adressant directement au public avec une phrase comme « Changement de rôle! ». Il devient alors difficile pour le spectateur de distinguer les personnages. La présence perpétuelle des acteurs sur scène due à l'absence de coulisses, oblige le spectateur à être encore plus attentif. Ce nouveau type de représentation marque l'envie de ne pas servir au public une lecture univoque du texte, mais seulement des outils qui permettent une invitation au voyage. Tout artifice qui s'approcherait d'un réalisme dramatique est banni et le texte devient une partition qu'ils donnent à entendre. Jolente de Keersmaeker dit aussi : « pour que l'échange ait lieu, on a besoin que le spectateur soit tenu en haleine »².
Quelques liens utiles :
- Le site de la compagnie Tg Stan : http://www.stan.be/content.asp?path=k1xr91jg
- Entretien avec Jolente de Keersmaeker et Damiaan de Schijver sur un PDF du Festival d'automne: http://www.youtube.com/watch?v=bBW21_1aOoc
- Un article critique de Bruno Paternot : http://ilinferno.com/2012/02/02/collectif-tg-stan-le-chemin-solitaire-un-theatre-dacteur/
- Un article critique de Fabrice Chêne : http://www.lestroiscoups.com/article-le-chemin-solitaire-d-arthur-schnitzler-critique-de-fabrice-chene-theatre-de-la-bastille-a-paris-40673326.html
- L'article de la présentation de TnBA :http://www.tnba.org/event.php?id=470
Pour aller plus loin :
Dans la mesure où le spectateur doit être actif et où l'acteur met une distance avec le personnage qu'il incarne, pourrait-on rapprocher ce spectacle des théories développées par Brecht ?
Quelles seraient alors ses limites de cet usage des procédés brechtiens ?
Comment alors concilier le refus d'une illusion théâtrale pour ne servir que le texte et le plaisir du spectateur de venir au théâtre ?
Article rédigé par William Petipas, Kassandra Rathier et Laurentine Rumolino
2Extrait du Dossier de Presse du TnBA, interview de Jolente de Keersmaeker par Lise Lenne et Marion Rhéty.