Krinomen du 8 novembre 2012 préparé, animé et modéré par Zilda Barthès, Laurine Cochard, Hélène Godet, Pauline Blais.
Prise de note et compte-rendu : Margaux Charbonnier et Samuel Knosp.
Le spectacle Persistance a été créé par la compagnie Medulla. Cette compagnie est composée d’une danseuse, Naomi Mutoh, et de deux musiciens, Laurent Paris et Bruno Bares du groupe Spina. Naomi Mutoh a été formée à la danse classique, et au Bûto par Carlotta Ikeda. Elle est aussi chorégraphe. Laurent Paris est le chanteur-guitariste du groupe Electro-Rock-Indus Spina et Bruno Bares en est le batteur. Leur premier spectacle ensemble était Radix. Le Bûto est une danse japonaise, en rupture avec le Nô ou le Kabuki, elle arrive en réaction au traumatisme de la deuxième guerre mondiale et a été créée par Tatsumi Ijikata.
Durant à peu près une heure, la danseuse évolue sur scène en robe blanche, accompagnée de quelques accessoires, au son de la guitare électrique (jouée avec un archer) et de la batterie. En fond de scène on entrevoit des panneaux transparents qui cachent plus ou moins les musiciens selon les éclairages ; à jardin des photos ont été accrochées au mur. En partie autobiographique, le spectacle propose une évolution, un parcours entre le passé et le présent, entre culture asiatique et culture occidentale, entre culture traditionnelle, classique et culture moderne.
La forme du spectacle permet-elle au spectateur de se sentir impliqué ?
Le spectacle se déroule au Glob Théâtre dans une salle assez exiguë, intime, avec des lumières basses. Le spectateur est physiquement assez proche du plateau et cette proximité permet de rentrer facilement dans le spectacle. La musique soutient et met en valeur la chorégraphie de la danseuse, tout en possédant une écriture qui lui est propre ; elle touche, fait naitre des émotions au même titre que la danse qui est une danse de l’émotion.
De plus, le spectacle est en partie autobiographique. Naomi Mutoh raconte son histoire, évoque, par la danse, sa vie, ses difficultés, ses batailles, ses victoires et ses défaites : debout sur des pointes classiques, elle manque de tomber à chaque pas, soutenant un large livre ouvert sur sa tête, elle porte le poids de sa/ de ses cultures, rattrapée par son passé, elle marque une longue pose face aux photos accrochées au mur. Elle transmet son histoire, sa mémoire, ses traditions. Son propos fait sens pour le spectateur qui se sent concernés, inclus : elle fait parfois des adresses directes au public par des gestes ou des regards.
S’il n’est pas toujours aisé de saisir toutes les métaphores qui portent cette histoire, il reste néanmoins possible de l’apprécier de façon purement esthétique ou émotionnelle car il ne nécessite pas une compréhension intellectuelle même si le fait de savoir qu’il parle de la vie de la danseuse permet de l’apprécier plus pleinement.
Malgré tout, même si l’implication est effective, certains spectateurs ont pu se sont sentir repoussés, voire exclus par cette danse que nous n’avons pas l’habitude de voir en Occident. Effectivement, cette forme de danse évoque la souffrance, elle est assez violente et certains spectateurs ont eu l’impression que la danseuse allait contre eux, qu’elle se confrontait à eux.
En résumé, ce spectacle n’autorise pas l’entre-deux : soit le spectateur est pris par la danse, la musique et/ou l’histoire et on vit une aventure avec Naomi Mutoh ; soit il se sent exclu par cette forme de danse violente et difficile à saisir.
De ce fait les réactions dans le public sont disparates et intéressantes à observer. Certains restent totalement stoïques tandis que d’autres pleurent. A la fin une partie du public applaudit à tout rompre, l’autre reste sur la réserve. Ces réactions s’expliquent par la proposition qui laisse la réception ouverte ; chaque spectateur voit et reçoit des choses différentes.
Que dire du mélange entre le Bûto et le rock ?
Tout d’abord, nous sommes d’accord sur le fait que la musique présentée durant Persistance n’est pas du rock traditionnel ou ne correspond pas tout à fait à l’imaginaire que véhicule le rock, comme en atteste l’utilisation d’un piano à pouces à un moment du spectacle, ce qui n’est pas un instrument usuellement utilisé par les groupes de rock. En fait la musique a été créée spécialement pour ce spectacle et pour soutenir la danseuse et sa danse. Le diapason apporté au plateau par Naomi Mutoh au tout début du spectacle marque le début de la musique. La note persiste longtemps, elle crée une continuité sonore qui reste sensible jusqu’à la fin. Ce rock se rapproche de la Cold Wave, un rock froid mélangeant moments lents et moments forts qui appel les émotions.
Dans Radix, le rock et les musiciens étaient physiquement plus présents. Persistance tourne plutôt autour de la danse et la musique y apparaît plutôt comme une nappe.
Véhiculant de nombreuses émotions et sensations, le mélange de Bûto et de rock coupe le spectacle d’une lecture psychologique ou intellectuelle abusive. Elle est de l’ordre de l’expérimentation.
Ce mélange pose aussi la question de la rencontre entre la modernité et de la tradition.
Il y a des points communs entre ces deux arts. Le rock est une évolution de la tradition à la modernité tout comme le Bûto qui veut s’éloigner de la tradition. De plus ces deux mouvements ont été créés en réaction à la guerre : Hiroshima et Nagasaki pour le Bûto et la guerre du Golf pour le groupe Spina. Ce sont des mouvements contestataires. Le rock permet de relâcher les tensions du corps et de l’esprit, comme le propose Naomi Mutoh par la danse. Le guitariste utilise un archet pour jouer de la guitare, cette idée vient de la période Noise, où l’on refusait la musique. Cela fait écho au refus de danser du Bûto.
Ce mélange permet aussi de faire se rencontrer deux mondes, japonais et européen. Serait-ce une manière de le rendre plus accessible ? C’est la création d’un genre nouveau.
Que dire du titre « Persistance » ?
La persistance se retrouve du début à la fin dans cette œuvre, à travers tous les éléments qui la composent. Tout d’abord la danseuse se donne, lutte, persiste, du début à la fin du spectacle. Elle lutte jusqu’à devenir animale, monstrueuse, lors de la scène de butô où elle se présente face aux spectateurs avec le visage déformé. Elle persiste malgré la souffrance physique et émotionnelle qu’elle nous montre. Elle résiste, la persistance c’est de la résistance. Elle teste la résistance de son corps et de son esprit à ce qu’elle lui inflige. Elle persiste à prendre des risques physiques et psychologiques (elle manque de se casser les chevilles à chaque mouvement sur ses pointes).
On remarque aussi l’existence d’une persistance sonore au moment où elle fait vibrer le diapason et d’une persistance rétinienne lorsqu’elle apparaît ou disparaît dans le noir à travers des flashs de lumière qui restent longtemps devant nos yeux. Il existe aussi une persistance mémorielle dans le fait de pratiquer une danse qui parle de la deuxième guerre mondiale et plus précisément des bombardements de 1944.
On voit qu’elle persiste dans son art : la danse, quelle que soit sa forme. L’artiste persiste toujours à aller plus loin dans son art, il cherche de nouvelles façons de l’aborder. Il persiste dans sa recherche sans jamais au bout de son art.
Dans Persistances, on voit qu’elle lutte aussi contre le monde (notamment lorsqu’elle se noie sous les tissus et essaye de s’en extraire), le monde persiste contre elle.
Vers la fin du spectacle, le spectateur sent que la lutte est finie, que la danseuse s’est libérée et on comprend pourquoi elle a persisté jusque-là. Elle savait qu’à un moment donné elle réussirait à se libérer c’est pour cela qu’elle a persisté. La persistance suppose de l’espoir. Cette libération est illustrée par son chant à la fin : sa voix se libère. Le spectateur lui-même est dans une démarche de persévérance. Il persiste à la regarder souffrir ; même si c’est atroce et qu’il voudrait détourner les yeux il ne peut pas.
Nous sommes face à un regard franco-japonais sur l’unité mondialiste contemporaine. Après avoir vu ce spectacle on peut se demander ce qu’il reste après la persistance, après avoir enlevé toutes les couches de notre culture.